Mauril Minville : l’homme qui fait du bénévolat depuis 70 ans

Nelson Sergerie, Graffici, Gaspésie, Noël 2022

 

GRAFFICI entame ce mois-ci le premier d’une série d’articles sur les gens qui ont un impact majeur dans leur communauté, des gens qui oeuvrent dans l’ombre mais qui réalisent de grandes choses. GASPÉ | Le soleil est puissant lorsque GRAFFICI rencontre Mauril Minville en fin d’après-midi le 21 octobre, à l’image de celui qui a contribué à plusieurs réalisations sur la Côte-de-Gaspé. Ce bénévolat a été reconnu avec la nomination du prix Personnalité aînée 2022 par la Table régionale de concertation des aînés Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine. Rencontre avec celui qui s’est engagé dans un nouveau combat ce printemps : le retour du train à Gaspé.

Rapidement, la discussion tourne sur les motivations qui l’ont amené à faire du bénévolat.

« La première action, je me souviens que c’était à l’élection de 1952. C’était M. [Georges-Émile] Lapalme qui se présentait pour les libéraux du temps où Duplessis était comme la CAQ d’aujourd’hui : imbattable. Mon grand frère Claude était un organisateur pour les libéraux, raconte M. Minville qui n’avait que 15 ans à l’époque. Dans ce temps, plutôt que d’avoir des chèques comme aujourd’hui, c’était des caisses de bière et des bas de nylon pour les femmes. »

C’est à ce moment que son engagement en politique a commencé. Il s’est poursuivi jusqu’à la plus récente élection où il était de l’équipe de la candidate péquiste de la circonscription de Gaspé, Méganne Perry Mélançon.

Il est un enfant de la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945) et son père fut vétéran de la Première Guerre (1914-1918).

« Pour nous, la guerre, c’était épeurant. Je suis resté marqué par ça et pour moi à partir de ce moment, c’était aider et rester disponible. C’était l’ambiance dans laquelle j’ai été élevé et je suis toujours resté avec ça : le goût de servir et de faire tout ce que je peux faire », explique M. Minville, qui a oeuvré dans sa jeunesse à la Jeune Chambre de commerce de Grande-Vallée, où il est né.

Ayant travaillé à la Coopérative d’électricité de Gaspé-Sud en 1962, avalée par la nationalisation d’Hydro-Québec Lesage, M. Minville estime avoir contribué à trois grandes réalisations et travaille sur une quatrième.


Mauril Minville se livre au bénévolat depuis 70 ans pour le mieux-être de sa communauté. Photo : Nelson Sergerie

L’implication à Radio-Gaspésie

Le premier « grand tournant » remonte à 1976.

« Je suis entré au conseil d’administration de Radio-Gaspésie en avril 1976. Elle devait être à l’antenne le 5 juin. Mais on a découvert qu’il n’y avait que quelques détails réglés et qu’il y avait une entente avec un fournisseur de services de Gaspé qui avait promis pas mal de choses, mais ça ne s’est pas concrétisé. On a été obligés de laisser ce dossier de côté et partir de nos propres ailes », raconte M. Minville.

Il a siégé au conseil d’administration durant 22 ans avec l’objectif d’obtenir l’adhésion de la population et de régler les plans technique et financier.

« Je n’ai jamais réussi à avoir ces trois éléments avant 22 ans », lance M. Minville.

Les rivières à saumon de Gaspé

Le second élément fut la démocratisation des rivières à saumon du Grand Gaspé.

L’arrivée du gouvernement de René Lévesque et la création des zones d’exploitation contrôlée (ZEC) l’ont amené à s’engager à nouveau.

« Ça ne s’est pas fait dans la douceur et l’harmonie », se rappelle M. Minville.

La première rivière, la York, fut assez facile à « décluber » car le bail entre Québec et la famille Molson est venu à échéance et n’a pas été renouvelé. Une alliance entre l’Association des pêcheurs de Gaspé et de Murdochville a permis de créer la ZEC.

Mais, il y avait des propriétaires privés.

« C’était la York River Fishing Club. Ils étaient propriétaires de portions de rivières. La loi ne pouvait pas les toucher. On s’est fait des complices à l’intérieur et ils nous ont donné beaucoup d’informations. On a appris qu’ils étaient propriétaires seulement de la moitié de la rivière. On a entrepris des négociations, surtout [avec] des gens de New York, et le président était Wilfrid Carter de Gaspé », évoque M. Minville.

« On l’a cuisiné jusqu’à lui dire : ‘‘Écoute. Vous ne voulez pas céder? Légalement, on ne peut pas [vous évincer]. Mais il y a une chose. Ton pêcheur qui pêche à 3000 $ de ton côté de la rivière, moi, je vais aller pêcher à 50 $ de l’autre côté de la rivière’’. Ils n’ont pu résister à ça. On a eu la rivière en 1980 », ajoute M. Minville.

Le cas de la Dartmouth était déjà réglé et la rivière Saint-Jean était exploitée par Québec. « On n’a pas touché à ça car c’étaient des gens de New York [sur la Saint-Jean]. Ça nous titillait pas mal », se souvient le bénévole.

« La Saint-Jean s’est faite automatiquement après des pourparlers et elle a été confiée à la ZEC des Trois rivières », termine le bénévole.

Cette fin des clubs aura permis de laisser des dizaines de millions en retombées économiques sur Gaspé depuis les années 1980.

La bataille du service d’orthopédie à Gaspé

La création du service d’orthopédie du centre hospitalier de Gaspé est le dossier le plus émotif.

Le 28 décembre 1999, M. Minville subit un accident de motoneige qui lui a causé plusieurs fractures. L’hôpital local n’avait pas d’orthopédiste. Chandler avait un service et Maria était en voie d’en recréer un.

« Le Dr [Michel] Saint-Pierre à Chandler s’était dit [que] jamais Gaspé n’aurait de service d’orthopédie parce que Marc-Yvan Côté, lorsqu’il était ministre de la Santé et des Services sociaux, lui avait donné carte blanche pour organiser un service régional. Gaspé avait fait des tentatives et n’avait jamais pu avoir ce service », raconte M. Minville.

Après son accident, le bénévole a dû se taper sept heures d’ambulance avec ses fractures multiples pour être soigné à Rivière-du-Loup.

« J’ai manqué mourir en montant. Une ambulance, c’est un camion. Il n’y avait rien pour m’enlever la douleur. J’ai passé le jour de l’An là-bas », mentionne-t-il.

Il a quitté l’hôpital en mars 2000. Étant retraité d’Hydro-Québec avec un bon revenu, il se considérait chanceux malgré tout. Après 44 jours pratiquement sans dormir, il a pensé à toutes sortes de scénarios.

« Je me suis dit : si c’était mon fils avec deux enfants, qu’est-ce que ce serait », lancet-il très émotif, la larme à l’oeil.

Il a lancé un comité baptisé « Assez, c’est assez! » pour réclamer un service d’orthopédie à Gaspé. Il a amassé 6003 signatures en deux semaines avec une pétition. Fort de ce document, il rencontre le conseil d’administration de l’hôpital qui lui dit que les besoins ne représentent que 10 % du temps d’un orthopédiste, ce qui ne permet pas de faire une telle demande.

« Je suis allé au Conseil régional de la santé et des services sociaux. Je ne dirai pas qu’ils étaient condescendants. Ça aurait pu être une bonne chose, mais c’était tellement difficile de faire du recrutement, s’est-il fait dire. Je leur ai donné comme exemple la pêche au saumon. Je vais à la pêche et c’est sûr que je n’en prends pas tout le temps, mais si je n’y vais pas, je n’en prendrai jamais », lance le combattant.

Il rencontre le député de l’époque, le péquiste Guy Lelièvre, et il demande une rencontre avec le ministre de la Santé et des Services sociaux Rémy Trudel, qu’il voit en août 2001.

« Le ministre m’a dit : « Écoutez M. Minville. Je vais former un comité des gens concernés au régional et je mettrai une de mes personnes [dans le comité] et au plus tard le 15 septembre, vous aurez des nouvelles. » Le 15 septembre, il m’appelait pour accepter le projet avec un budget de 1,5 million de dollars pour le fonctionnement et le droit de recruter. Les gens ont dit : ‘‘Recrutez, il n’en aura jamais.’’ On était rendu en novembre et en avril suivant, on avait un orthopédiste », rappelle-t-il avec fierté.

Il a donné des entrevues au moment d’être nominé pour son prix de la Table régionale de concertation des aînés Gaspésie-Îles-dela- Madeleine, où il a rappelé la création du service d’orthopédie.

« J’ai des gens qui m’ont appelé pour me remercier car ils en ont eu besoin et ils étaient dans une situation critique. Ça, c’est un beau dossier pour moi », affirme fièrement M. Minville.

Et la lutte pour le retour du train à Gaspé

Et le combat se poursuit et cette fois, c’est le retour du train qui le motive.

Depuis 2015, aucun train n’a circulé entre New Carlisle et Gaspé. Le train touristique Amiral est stationné à la gare de Gaspé. Avec deux amis, ils commencent à parler du dossier et le 18 août 2019, 200 personnes se réunissent à Gaspé pour réclamer le retour du train à Gaspé.

En février dernier, lorsque Québec a repoussé l’échéancier à 2024 pour la reprise du trafic entre Caplan et Port-Daniel-Gascons, sans donner aucune date pour Gaspé, ce fut la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Une étude est commandée par le Comité citoyens de Gaspé et Solidarité Gaspésie auprès de Gaétan Lelièvre et sa firme conseil pour résumer le combat et le 15 juin dernier, le document a été présenté.

« On a écrit au premier ministre, au ministre des Transports [François Bonnardel] et au ministre de la Gaspésie Jonatan Julien et à ce jour, on n’a toujours pas de réponse. Aucun accusé de réception », déplore M. Minville.

« J’en suis là », conclut M. Minville à la fin de l’entrevue.

Au fil des autres éléments évoqués dans la discussion, M. Minville a aussi oeuvré pour la Ligue de hockey junior B à la fin des années 1970 et pour les Régates internationales sur la baie de Gaspé, entre la fin des années 1970 et 1983, où l’espace a été réquisitionné en 1984 pour les fêtes du 350e anniversaire de l’arrivée de Jacques Cartier.


Le nouveau combat de Mauril Minville : la reprise de la circulation ferroviaire à Gaspé. Il pose ici aux côtés de l’Amiral, le train touristique stationné à la gare depuis 2015. Photo : Nelson Sergerie