Le lapin de monsieur Dahl

Marcel Kretz, Ski-se-Dit, Val-David, Novembre 2022

 

Après une longue et remarquable carrière comme grand patron des cuisines de l’hôtel La Sapinière durant ses années glorieuses, le chef Marcel Kretz offre chaque mois aux lecteurs du journal Ski-se-Dit quelques extraits de ses souvenirs, rédigés en collaboration avec sa conjointe de toujours, Nicole.

Chaque 2e ou 3e dimanche à partir du printemps, Monsieur Dahl, notre voisin immédiat, entre 8 et 9 heures du matin, tuait son lapin du dimanche. Son clapier était à une quinzaine de mètres de notre fenêtre de cuisine. À cette époque, tous les voisins avaient des poules et des lapins.

À la campagne, tuer un lapin n’est pas une tendre chose et un lapin en détresse crie comme un bébé. Monsieur Dahl saignait le lapin et son épouse utilisait le sang pour la sauce, tout cela pour le repas du midi.

Ma mère en était chaque fois indignée, non pas à cause du sang, mais du fait de tuer un lapin à 9 heures pour le repas du midi… Quelle horreur!

Bien sûr, nous avions aussi un lapin ou un coq pour la table du dimanche.

Ma mère faisait mariner les découpes de lapin au vin rouge avec mirepoix pendant une nuit avant de faire sauter les pièces le lendemain et de rajouter mirepoix et vin rouge. Elle saupoudrait d’un peu de farine pour lier la sauce et ajoutait un peu de pâte de tomate. La sauce était ensuite passée pour écarter la mirepoix et l’assaisonnement était vérifié. Le tout était servi sur des nouilles aux œufs que ma mère avait faites à la main la veille. C’était délicieux. Toute la maison embaumait le civet, comme nous appelions ce plat. Le lièvre peut être apprêté de la même façon.

De tous les animaux mammifères domestiques couramment employés dans l’alimentation de l’homme, le lapin est sans doute celui qui est encore le plus ignoré. En Amérique du Nord, sa percée est réelle, mais nous sommes encore loin de la consommation de l’Europe ou d’ailleurs.

Pourtant, c’est peut-être l’animal domestique le plus propre qui soit. Sa chair est extrêmement maigre, la graisse due à un engraissement excessif est facilement discernable et peut ainsi être écartée.

Le lapin domestique est d’une propreté étonnante lorsqu’on l’élève dans des conditions de salubrité appropriées. Il se garde toujours une couche propre pour son repos.

Quant à son alimentation, il est très gourmet. Il ne mange jamais d’herbes, autres végétaux ou nourriture avariés. D’instinct, il évite tout ce qui pourrait être nocif ou poison. Son eau doit être propre et fraîche.

De temps en temps avec le cousin Henri, on s’échangeait les mâles pour toujours avoir des lignées saines.

L’arrivée des petits lapins était un évènement. Ils naissent sans fourrure. La maman fait au préalable un nid avec les poils qu’elle s’arrache. Elle allaite et il faut éviter d’approcher le nid de trop près. Peu à peu, les petits se recouvrent de poils et ils sont si mignons que l’on se demande comment sans trop d’émotion, on les retrouve dans nos assiettes.

Comme rien ne se perdait, ma mère tannait les peaux de lapin d’après une recette de sa mère. Elle en confectionnait des bonnets et des manchons pour les enfants.

Quelque temps après notre arrivée à Val-David en 1961, nous habitions dans le domaine Saint-Louis, j’avais quelques lapins dans un clapier derrière la maison. Pour occuper les enfants et aussi peut-être par nostalgie, car il est vrai que ces petits élevages faisaient partie de mon ADN et de mes souvenirs d’enfance.