Arrête ton char

Stéphane Desjardins et Simon Van Vliet, Journaldesvoisins.com, Ahuntsic-Cartierville, Décembre 2022

 

Avant de dénoncer le supposé parti pris éditorial de ce journal envers les piétons et les cyclistes, sachez que les membres de notre équipe sont, à leurs heures, des automobilistes qui se trouvent coincés dans des bouchons, se cherchent du stationnement, se perdent dans les détours et pestent contre les entraves liées aux chantiers. Il n’en demeure pas moins que le modèle du tout à l’auto sur lequel ont été développés de larges pans d’Ahuntsic-Cartierville appartient à une vision de la ville héritée d’une autre époque. Un bungalow, une auto, un abri tempo, c’est bien beau, mais on ne peut plus développer la ville, ni y vivre, comme si on était toujours en 1950 ! Comme l’objet dans le miroir, la crise climatique est plus proche qu’il n’y paraît. Demandez aux personnes inondées lors des débordements de la rivière des Prairies en 2017 et en 2019, ou lors d’épisodes de pluies diluviennes qui se sont abattues sur Montréal récemment. De tels événements climatiques extrêmes sont d’ailleurs appelés à survenir de plus en plus souvent. Pendant ce temps, le parc automobile croît plus vite que la population. Dans le rétroviseur, on voit nos objectifs de réduction d’émissions de gaz à effets de serre (GES) s’éloigner à mesure qu’on fonce droit vers le mur climatique.

Faut-il rappeler que le secteur des transports est responsable de 40 %  de nos émissions de GES ? Il ne faudrait pas rater la prochaine sortie, qui pourrait bien être la dernière avant la panne d’espoir… L’auto est une drogue dure. Nous y avons développé une telle dépendance qu’on ne voit plus les paradoxes affligeant l’homo automobilis. Consacrer le quart de son revenu familial à un objet qui perd la moitié de sa valeur en trois ans, mais rechigner à l’idée de payer ne serait-ce qu’une fraction du prix qu’il en coûte d’entretenir l’espace public monopolisé par son bien privé ? « Moi, je paie des taxes ! » S’attendre à pouvoir laisser son véhicule personnel stationné 90 %  du temps juste devant sa porte, mais s’offusquer de voir des voitures en partage utiliser les places réservées sur la rue ? « Le stationnement est un droit, pas un privilège ! »  Ah oui ? Collectivement, on est sur le cruise control. Chaque année, on dépense des milliards – des milliards ! – pour construire ou maintenir les infrastructures routières. Beaucoup moins pour le transport en commun. Et pour le réseau cyclable et piéton, des pinottes. On parie un plein d’essence – c’est-à-dire une fortune ! – que le prolongement de l’autoroute 19 sera complété avant la prolongation de la ligne orange ?

Qu’on verra des stationnements à étage dans le District Central avant d’y voir des pistes cyclables dignes de ce nom ? Que le déploiement de bornes de recharge rapide ira plus rapidement que celui de nouvelles lignes d’autobus dans Saraguay, Saint-Simon, Nouveau-Bordeaux, Cartierville ou dans le Sault-au-Récollet ? Chaque dollar dépensé dans le transport collectif ou dans les transports actifs est un investissement rentable économiquement, socialement, environnementalement. Politiquement ? Au Québec, on gagne encore des élections en promettant de réduire la congestion en construisant de nouveaux liens routiers, même s’il est connu qu’ajouter des voies de circulation a pour effet… d’augmenter le volume de circulation ! Le phénomène du trafic induit (« construisez l’infrastructure et les usagers se multiplieront ») se vérifie d’ailleurs avec l’explosion des déplacements à vélo depuis la création du Réseau express vélo (REV). Immanquablement, comme le trafic du vendredi après-midi sur la 15 Nord, l’implantation de nouvelles pistes génère néanmoins une levée de boucliers d’automobilistes outrés de céder quelques mètres de chaussée à des cyclistes. Ces gens-là ne respectent rien, dit-on. Or, les cyclistes commettent en fait moins d’infractions que les automobilistes. Les infractions à vélo sont simplement plus visibles… et elles tendent d’ailleurs à diminuer aux intersections pourvues d’infrastructures cyclables. La bonne nouvelle, c’est que les autorités municipales multiplient les mesures d’apaisement de la circulation et de sécurisation des intersections : saillies de trottoirs, sens uniques, pistes cyclables, dos d’âne, rétrécissement des rues, etc. Évidemment, le moteur de la machine municipale ne tourne pas toujours rond. Sur Prieur et Sauriol, on conçoit encore des pistes bidirectionnelles comme dans les années 1980. La sécurisation promise de Gouin Ouest attend toujours. Sur Louvain, la création d’un nouveau lien cyclable sème la confusion et la frustration en raison d’un cafouillage de communications sur les nouvelles règles de stationnement. Tout ça pour dire que nous ne sommes pas sortis de l’embouteillage. Et si on veut arrêter d’avancer par en arrière, il est plus que temps de développer des solutions de rechange structurantes à l’auto solo pour que les gens qui le souhaitent (et ils sont plus nombreux qu’on le croit) puissent troquer leur voiture pour le métro, l’autobus, le train, le vélo, le BIXI, le covoiturage, l’autopartage et leurs espadrilles !