Medway, un projet mal barré

Pierre Landry, Le Mouton Noir, Rimouski, Juillet 2022

Le 6 avril dernier, la Ville de Rivière-du-Loup convoquait les citoyens à une présentation publique d’un nouveau Programme particulier d’urbanisme (PPU) pour le centre-ville, visé à devenir « la pierre angulaire du développement du noyau urbain pour les dix prochaines années1 ». Pièce majeure de ce nouveau cadre législatif, on modifie le zonage à la faveur de la création d’une zone dite Pôle de santé. Ce secteur sis en bordure de la rivière du Loup et bordé par la rue Saint-Louis englobera le site où l’on achève la construction de la maison des aînés, de même que le vaste terrain adjacent actuellement occupé par un commerce du nom de Poitras Meubles et Design. On publie le 1er juin dernier l’avis d’entrée en vigueur de ce nouveau schéma d’aménagement où il est précisé que ce PPU « découle du souhait du conseil municipal de développer un centre-ville dynamique qui met les citoyens au cœur de ses interventions2 ». Le même jour, des avis de demande de permis de démolition sont placardés sur trois immeubles de la rue Saint-Louis : le magasin Poitras, un immeuble à logement, et une merveilleuse maison patrimoniale de près de cent ans. On précise toutefois que cette dernière sera déménagée dans un stationnement situé à proximité, et ainsi arrachée à son cadre naturel serti d’une végétation luxuriante composée notamment d’arbres centenaires.

Déjà le 15 mars, avant même la tenue de la soirée d’information du 6 avril, le maire de Rivière-du-Loup Mario Bastille avait annoncé ses couleurs quant à un projet immobilier qui était dans l’air, mais dont on savait peu de choses à ce moment : « C’est un projet d’envergure qui est à naître à Rivière-du-Loup, c’est pour ça qu’on n’avait d’autre choix que de réagir et il faut être prêts. Si le promoteur vient déposer le projet, […] on veut être prêts à l’accueillir3 ». On en apprendra davantage dans les semaines qui suivront : « Les ambitions du Groupe Medway se précisent concernant le projet immobilier de grande envergure qu’il souhaite réaliser au centre-ville de Rivière-du-Loup. Selon le promoteur, le complexe à construire est de neuf étages, dont six seront consacrées à des unités de logement et trois autres à des espaces commerciaux. Le projet comprend également la construction d’un grand stationnement souterrain de trois étages où des centaines de cases seront disponibles4 ». Et si on cherche une illustration de ce projet, c’est curieusement dans les pages du document annonçant le PPU, lequel a été remis aux citoyens lors de la soirée d’information du 6 avril, qu’on peut en découvrir une.

DES LOCATAIRES SURPRIS

Le jour où l’on placarde des avis de démolition sur l’immeuble qu’ils habitent, les locataires sont consternés. Personne ne les a prévenus! Or, le règlement municipal est limpide : « Article 14 : Lorsque l’immeuble visé par la demande comprend un ou plusieurs logements, le requérant doit faire parvenir par courrier recommandé un avis de la demande à chacun des locataires de l’immeuble. Une copie de cet avis doit accompagner la demande de même qu’un document indiquant les conditions de relogement prévues pour chaque locataire. » Manifestement, cette condition n’a pas été remplie, les locataires ayant appris la chose par les médias. Mais pourquoi le service de l’urbanisme de la Ville a-t-il jugé les demandes de démolition recevables si elles étaient non conformes, et, cela étant, en vertu de quel droit un fonctionnaire de la Ville est-il venu apposer les avis sur les immeubles concernés?

La faille était tellement évidente que le promoteur lui-même a décidé de retirer les demandes de démolition pour les deux immeubles en question « en raison de la révision d’un élément technique relatif à la conformité de la procédure5». 

 

DES ENTORSES AUX RÈGLEMENTS DE ZONAGE

Mais ce n’est pas tout. Il appert que les lots convoités où se trouvent les deux immeubles à logement ne faisaient pas partie, en date de la demande de dém olition, de la zone dédiée au Pôle santé mais plutôt à la zone dite « résidentielle de forte densité ». Selon la charte des affectations, le nombre de logements permis par habitation s’y limite à 12. Or, le projet Medway en compterait entre 145 et 165! Mais la Ville veille au grain (du promoteur)! On apprend en effet dans le journal Infodimanche du 15 juin dernier que lors d’une séance ordinaire du conseil municipal de la Ville de Rivière-du-Loup tenue le 13 juin 2022, on a adopté trois règlements qui modifient encore une fois le PPU pour inclure dans le fameux pôle santé les deux lots en question! Le promoteur ayant maintenant « réglé le cas » des locataires en négociant leur départ et ayant maintenant acquis les immeubles, voilà que la Ville lui tend la main en changeant le zonage des lots convoités! Nouvelles demandes de permis de démolition imminentes?

Vous y perdez votre latin? Imaginez les pauvres citoyens qui essaient de se dépatouiller dans tout ça. Et tout ça, c’est quoi finalement? Ça se résume à ceci : la construction projetée en zone sensible, aux abords de la rivière du Loup et collée sur la toute nouvelle maison des aînés d’un méga complexe de neuf étages. Avec à la clé : éviction de locataires; démolitions; abattage d’un nombre considérable d’arbres dont certains centenaires; création d’un îlot de chaleur et d’une vaste surface de ruissellement; accès via une seule rue étroite où deux voitures ont déjà peine à se croiser pendant la période hivernale; ombre portée sur la maison des aînés et le voisinage; condos locatifs pour locataires aisés; érection dans un périmètre résidentiel et patrimonial d’un édifice à la taille disproportionnée qui défigurera complètement le relief de la ville; nuisance visuelle majeure à proximité du parc des Chutes et du parc de la Croix; et j’en passe.

Et tout ça avec la complicité de la Ville de Rivière-du-Loup pour qui le projet est connu depuis plus d’un an (de l’aveu du promoteur lui-même) et qui n’a pas daigné une seule fois informer ou donner l’heure juste aux citoyens. Un scandale!