Johanne Fournier, Graffici, Gaspésie, Juillet 2022
Depuis septembre 2020, GRAFFICI vous présente des scientifiques qui contribuent à l’avancement des connaissances en direct de la péninsule, tant en sciences naturelles qu’en sciences humaines. Grâce à leur expertise dans leur domaine de prédilection, ils démontrent qu’il est fort possible de s’épanouir en région dans des domaines de pointe. Nous vous présentons cette fois-ci le biologiste Yves Briand, titulaire d’une maîtrise sur le caribou forestier de la Gaspésie et codirecteur du Conseil de l’eau du nord de la Gaspésie.
SAINT-MAXIME-DU-MONT-LOUIS | Le biologiste Yves Briand est préoccupé par la qualité de l’eau potable, les phénomènes d’érosion, les risques d’inondation et la conservation des milieux humides. Par son travail, le codirecteur du Conseil de l’eau du nord de la Gaspésie partage la fierté et le sentiment d’appartenance des Gaspésiens auprès de qui il intervient. « On est choyés par la qualité de nos cours d’eau et de nos rivières », estime le scientifique.
Après un baccalauréat et une maîtrise en histoire à l’Université Laval, Yves Briand a replongé tête première dans les études pour compléter un autre baccalauréat et une autre maîtrise, cette fois en biologie à l’Université du Québec à Rimouski. « Je suis revenu à mes premières amours », raconte le résident du secteur de Cap-au-Renard, à La Martre.
D’abord embauché en 2015 à titre de conseiller en environnement par le Conseil de l’eau du nord de la Gaspésie, dont les locaux sont situés à Saint-Maxime-du-Mont-Louis et dont le territoire s’étend de la pointe Saint-Pierre à l’est jusqu’aux Capucins à l’ouest, le Rimouskois d’origine assume la direction de l’organisme depuis 2017 avec Thierry Ratté.
« Ma carrière est associée à ma formation en science, précise M. Briand. En se partageant la direction générale à deux, ça nous libère chacun du temps pour des dossiers plus proches de nos formations, plutôt que d’être à 100 % dans la gestion. On voulait les deux continuer à faire valoir nos expertises. »
Yves Briand est codirecteur du Conseil de l’eau du nord de la Gaspésie. Photo : Johanne Fournier
Conseil de l’eau du nord de la Gaspésie
Le Conseil de l’eau du nord de la Gaspésie est un organisme sans but lucratif figurant parmi les 40 organismes de bassins versants du Québec, financés en bonne partie par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec. Leur mandat repose sur la gestion intégrée de l’eau par bassins versants.
« Un bassin versant est l’unité territoriale qui définit l’écoulement des eaux et leur cycle, décrit le scientifique. Un bassin versant est une portion de terre qui, par son relief, recueille les précipitations ou la fonte des neiges, les canalise dans un réseau hydrographique qui s’oriente vers un même cours d’eau, vers une même embouchure qui va vers la mer. »
Comme tous les organismes de bassins versants, le mandat principal du Conseil de l’eau du nord de la Gaspésie consiste à élaborer un plan directeur de l’eau (PDE). « Ce PDE s’appuie, après une recherche d’information et un diagnostic, sur l’identification de certains enjeux de l’eau, sans tenir compte de ce qui se passe en milieu marin », explique Yves Briand.
Les bureaux du Conseil de l’eau du nord de la Gaspésie sont situés à l’embouchure de la rivière Mont-Louis. Photo : Johanne Fournier
Enjeux
Parmi les enjeux qui sont généralisés aux bassins versants du nord de la Gaspésie, notons les aléas fluviaux, qui sont des phénomènes d’érosion des berges des rivières. « Cette érosion, qui va de pair avec les processus de sédimentation, fait en sorte que les rivières sont mobiles, qu’elles ne sont pas toujours dans la même trajectoire. Ce sont des phénomènes qui ne sont pas très connus des citoyens et qui réservent parfois de mauvaises surprises », soutient le codirecteur du Conseil de l’eau.
Par exemple, le coude d’une rivière en érosion qui a tendance à se déplacer au fil des décennies, peut toucher l’intégrité d’une résidence ou faire disparaître une partie de terrain résidentiel, provoquant ainsi des problèmes de sécurité civile.
« C’est un enjeu qui est vrai pour la plupart des bassins versants du nord de la Gaspésie parce qu’ils partent de très haut en altitude, puisqu’on a une chaîne de montagnes, ajoute le codirecteur de l’organisme. Donc, ces rivières descendent vers la mer avec une pente relativement abrupte pour un système hydrique. Avec cette force et les fontes printanières, où il y a une grande quantité d’eau qui entre dans les systèmes, ça déplace des sédiments. Ceux-ci proviennent de berges qui s’érodent et les sédiments vont aussi se redéposer ailleurs dans le système. »
Selon Yves Briand, les rivières doivent leurs méandres à cette alternance de déplacements et de dépôts de sédiments. « Ces méandres peuvent changer de forme au fil des ans », ajoute le spécialiste de l’eau.
Pour le Conseil de l’eau, la mobilité des rivières constitue donc une grande préoccupation, en plus des risques d’inondation lorsqu’une grande quantité d’eau cherche un chemin, particulièrement en période de crue printanière. « C’est pour ça qu’on a des plaines inondables à l’embouchure des rivières », indique le biologiste.
L’organisme veille aussi à la conservation des milieux humides, c’est-à-dire les marais, les marécages et les tourbières, pour leur biodiversité et les services qu’ils rendent aux communautés. « Ça contribue à filtrer l’eau des sédiments et des polluants, ajoute M. Briand. Ça contribue aussi à ralentir les débits de crues. »
Un autre enjeu interpelle l’organisme : les six grandes rivières à saumons de son territoire qui génèrent une activité économique de premier plan pour la Gaspésie. Il s’agit de la Cap-Chat, de la Sainte-Anne, de la Madeleine, de la York, de la Darthmouth et de la Saint-Jean. « Les six bassins versants de nos rivières à saumons font 70 % de notre zone en termes de superficie », souligne le codirecteur de l’organisme.
Ces six rivières font partie des 16 bassins versants principaux qui représentent 85 % du territoire du Conseil de l’eau du nord de la Gaspésie. La balance est formée de 46 bassins versants secondaires et d’une quarantaine de résiduels. Ces derniers n’ont même pas de toponyme.
L’organisme est aussi membre du Conseil de rétablissement du caribou forestier. « J’ai fait ma maîtrise sur le caribou forestier de la Gaspésie, souligne le biologiste. Je suis apte à comprendre sa réalité. »
Positif, mais lucide
Comment le scientifique perçoit-il sa vie personnelle et professionnelle en Gaspésie? « Je la vois de façon positive, répond Yves Briand. Je suis arrivé en Gaspésie en 2008 pour travailler pour la Conférence régionale des élus de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine (CRÉGÎM). Je travaillais en concertation sur le plan des ressources naturelles. J’ai notamment eu à donner mon avis scientifique sur le caribou forestier de la Gaspésie. J’étais à Gaspé. Je suis en Haute-Gaspésie depuis 2009. Mais, je suis lucide par rapport à ma réalité. C’est quand même difficile d’avoir son dentiste à Rimouski et son vétérinaire à Matane. Ça fait partie des désagréments. »
En revanche, ce qu’il aime de son emploi, c’est le réseau de contacts qu’il a établi puisqu’il a toujours oeuvré dans le monde de la concertation en Gaspésie. D’ailleurs, le succès de ses actions repose sur la concertation, croit-il. « Quand tu finis par comprendre la réalité de l’industriel forestier, même si, parfois, il peut nuire à certains cours d’eau, il a cette fierté de la Gaspésie, apporte le scientifique comme exemple. On a tous ce sentiment d’appartenance à ce territoire, même si on n’est pas toujours sur la même longueur d’ondes. » De plus, Yves Briand considère que la Gaspésie est un magnifique terrain de jeux pour ses enfants.
Le biologiste Yves Briand à l’oeuvre. Photo : Johanne Fournier