Un pont et de l’asphalte pour combattre les changements climatiques

Sébastien Rioux, Mouton Noir, Rimouski, Juin 2022

 

Voilà près de 40 ans que l’on entend parler de ce projet de prolongement de l’autoroute 20 au Bas-Saint-Laurent qui serait, à en écouter ses promoteurs, la panacée pour l’Est-du-Québec. Mais voilà que, justement, ce projet ne s’inscrit dans aucune logique de développement responsable de notre territoire et va même à l’encontre des recommandations des scientifiques face aux problèmes environnementaux et climatiques.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) faisait paraître le 4 avril le troisième et dernier volet du sixième rapport d’évaluation du climat, qui estime que pour rester sous un réchauffement global de 1,5 °C, il faudrait que les émissions de gaz à effet de serre mondiales atteignent un pic au plus tard d’ici 2025. C’est dans trois ans. Et leurs conclusions sont claires : nous devons drastiquement changer nos comportements, qui nuisent au combat contre les changements climatiques. Les scientifiques y vont même de la suggestion que nous cessions carrément d’utiliser nos voitures, au mieux, que nous les gardions le plus longtemps possible sans les changer. Beaucoup plus radical comme position que ce que proposent les opposants au projet de prolongement de l’autoroute 20 vers l’est. Parce qu’en fait, en 2022, nous pouvons faire mieux que ce projet basé sur une philosophie de développement du siècle dernier.

Le Bas-Saint-Laurent a choisi depuis plusieurs années d’agir contre les changements climatiques en misant entre autres sur la production d’énergies renouvelables, que ce soit l’éolien ou le biométhane. La région a fait le choix d’être un acteur de changement parce qu’elle croit à la gravité de la situation. Par contre, en s’entêtant à vouloir faire du même coup une nouvelle route qui menacera directement l’intégrité du territoire et produira des milliers de tonnes de gaz à effet de serre pour la seule phase de sa construction, le Bas-Saint-Laurent se prépare à miner tout ce travail si durement accompli. Encore pire, en acceptant ce projet, le milieu tue dans l’œuf toute possibilité d’en réaliser un meilleur et plus réfléchi. Il est temps que les bottines suivent les babines et que nous transcendions ce projet du passé pour en faire un projet du futur. Parce que oui, il est possible d’améliorer la situation du transport dans l’Est-du-Québec avec un ensemble de solutions qui reflètent davantage notre réalité et qui se basent sur des données scientifiques solides.

Cette liste de solutions est longue et devra être développée en concertation avec le milieu et l’ensemble des acteurs régionaux. Comme tout projet régional devrait se faire. Avec une réelle vision à long terme qui implique non seulement les quatre prochaines années, mais bien le prochain siècle. Que l’on parle d’améliorer la route 132 pour rendre certains tronçons plus sécuritaires, que l’on parle de désengorger cette route d’une partie importante des transporteurs lourds en utilisant le transport par train et en revitalisant nos gares, que l’on parle de participer à la mise en place d’un système de transport en commun bas-laurentien, que l’on parle d’agir sur les limites de vitesse ou bien de créer un fonds pour la protection des infrastructures routières déjà menacées par les changements climatiques, l’atteinte de notre objectif d’avoir un réseau de transport fonctionnel et efficace dans l’Est-du-Québec ne passe pas par une vision bétonnée de notre territoire. J’ai mis sur pied il y a quelques années, et ce bien humblement, un plan d’actions et de solutions que je croyais viables et durables pour mener le transport au Bas-Saint-Laurent là où il doit être. Je vous invite à en prendre connaissance1.

Aucune donnée empirique ne fait la démonstration que le prolongement de l’autoroute permettra de réduire notre empreinte environnementale ou de développer économiquement notre milieu. Au contraire, il est facile de démontrer que cette nouvelle route dévisagerait le territoire, prendrait en otage des portions naturelles du milieu, enclaverait plusieurs municipalités en les rendant vulnérables et menacerait des dizaines d’agriculteurs et d’acériculteurs qui ont travaillé avec leur cœur à bâtir leurs entreprises.

Pour ce qui est de l’amélioration de la sécurité des transports, les chiffres sont clairs : plus de 50 % des accidents sont causés par la vitesse, la distraction, la conduite dangereuse et la conduite avec les capacités affaiblies par l’alcool et les drogues. Parce qu’on veut aller vite, toujours plus vite. Et c’est ce qui nous tue. Lorsque nous aurons agi sur ces facteurs, la route ne sera plus le problème, elle fera partie des solutions.

Il est temps de nous réapproprier notre développement régional et de ne plus accepter de nous faire dicter comment le faire, avec des idées d’hier. J’aime assez mon Bas-Saint-Laurent pour dire que l’on peut faire mieux.