RPA vendues, aînés bousculés

 Leila Fayet, journaldesvoisins.com, Ahuntsic-Cartierville, Mai 2022

 

Pour des locataires, c’est difficile de changer de propriétaire. Les risques d’augmentation de loyer et les changements de services sont une réalité plus dramatique pour les 65 ans et plus. C’est le cas des aînés des Résidences privées pour aînés (RPA) de Mont-Carmel dans le centre-ville de Montréal et Les Jardins Gordon dans l’arrondissement de Verdun. Elles ont été vendues. Plus de 300 logements vont être, soit transférés sur le marché du locatif standard, soit disparaître pour fermeture d’établissement. Mais, du côté d’Ahuntsic-Cartierville, les 4 914 aînés, répartis dans les 23 RPA du territoire, devraient pouvoir dormir tranquille : pas de ventes en vue. 

Hors de danger pour l’instant

Jean-Paul Lahaie, président de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR) section Ahuntsic–Saint-Laurent, se prononce.

« Je ne pense pas que dans Ahuntsic-Cartierville, les risques pour les aînés d’être mis à la porte ou de voir les loyers soudainement augmentés suite à la vente d’une RPA soient importants. […] Les propriétaires vendent des RPA en mauvais état et de petites capacités. Parfois, ils n’ont pas les moyens d’entretenir les bâtisses et de fournir les services adaptés aux aînés, alors ils vendent. C’est à ce moment que les nouveaux propriétaires augmentent les loyers ou expulsent les résidants pour faire plus de profits », déclare Jean-Paul Lahaie.

Les propriétaires ont le droit de ne plus offrir les services aux aînés répondant à la certification RPA. C’était le cas de la Résidence Caroline de Montréal-Nord sur Gouin Est, logeant 112 aînés. Le service Qualité Risque et Certification du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’île-de-Montréal (CIUSSS NIM) s’est occupé de la décertification.

« Le processus de ce dossier de décertification s’est terminé en janvier 2022. Le nouveau propriétaire ne souhaitait plus garder la certification. […] Nous ne sommes pas autorisés à interdire la décertification, puisqu’il s’agit d’un établissement privé. […] Nous n’avons pas d’autres dossiers de décertification en cours pour l’instant. Dans tous les cas de propriétaires désireux de garder leur certification, nous essayons de maintenir les RPA. Nous les accompagnons, après avoir repéré les manques, pour qu’ils remplissent les conditions nécessaires. Nous souhaitons maintenir le nombre de RPA et le nombre de places en RPA », annonce Olivia Boisrond, chef de service Qualité Risque et Certification.

D’ailleurs, depuis 2018, le nombre de RPA du territoire du CIUSSS NIM serait demeuré stable grâce au jeu de fermetures, reconversions et ouvertures de nouvelles RPA, selon Marie-Hélène Giguère, chef de service, relations avec la population et relations publiques. Le CIUSSS NIM signale que 4 914 aînés sont répartis dans 23 RPA d’Auntsic-Cartierville.

En outre, le CIUSSS NIM accompagne les locataires au changement pendant le processus de décertification.

Conséquences pour les aînés

Pour Marie-Hélène Giguère et Olivia Boisrond, les équipes du CIUSSS NIM s’assurent que tous les résidents soient informés des conséquences de la perte de la certification RPA. De plus, les aînés et leurs familles qui le souhaitent bénéficient, selon leurs besoins, d’un appui clinique, psychosocial, logistique, financier et de propositions pour la relocalisation.

« Les suivis sont également assumés par nos équipes de soins à domicile dans la continuité une fois le déménagement effectué », signale Marie-Hélène Giguère.

Toutefois, le nouveau loyer peut aussi être un problème, comme le souligne Serge Séguin, directeur général de l’Association québécoise de défenses des droits des retraités et préretraités (AQDR).

« Les loyers de certaines RPA peuvent dépasser les 1 000 $ par mois pour un service de base. Les prix peuvent dépasser 4 000 $ par mois pour les personnes semi-autonomes. Lors d’une vente de RPA, l’aîné n’a parfois pas d’autres choix que d’aller dans une RPA plus onéreuse», précise Serge Séguin.

Par exemple, la résidence ORA du Groupe Maurice propose des studios à partir de 1458$ par mois. Certains des 409 locataires peuvent bénéficier, par ailleurs, de services avec soin, pour un loyer minimum de 3 500 $/mois. Les prix augmentent avec le nombre de repas, de services, et de soins choisis.

Et pour une des 23 chambres privées dans la Résidence Christ-Roi, à proximité de la gare Bois-de-Boulogne, c’est 2 300 $ par mois que l’aîné devra débourser d’après le site Bonjour Résidence. Ce prix inclurait les repas et collations, les services de buanderie, l’entretien de la literie et la gestion de la médication, et plusieurs autres soins. La clientèle est autonome ou semi-autonome, ou encore avec pertes cognitives légères ou déficience physique.

Cependant, l’argent n’est pas la seule source d’angoisse ou d’inconfort à l’occasion de la vente d’une RPA avec décertification.

Défense des aînés

« Bien qu’à partir de l’avis d’expulsion, les locataires aient six mois avant de quitter leur environnement, à 80 ou 85 ans, c’est difficile. Se retrouver dans les cartons, trier ses choses, l’angoisse de chercher et surtout trouver un autre foyer dans ses moyens, met l’aîné en situation de stress et d’angoisse importants. […] Nous luttons, entre autres, contre les ventes des RPA [avec décertification]. Pour le Mont-Carmel, la vente comprenait une clause pour rester une RPA. Mais l’acheteur n’a pas respecté la clause. Nous l’avons dénoncé », explique Serge Séguin, DG de l’AQDR.

L’AQDR a aussi appuyé une pétition mise en ligne par les résidents de Mont-Carmel pour maintenir les RPA, notamment à la suite de changement de propriétaire.

Par ailleurs, la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants et députée de la circonscription de Prévost, Marguerite Blais, annonçait qu’elle déposerait prochainement « un plan pour faire en sorte que les résidences privées pour aînés et les petites résidences dans nos villes et dans nos villages gardent leur mission, parce que c’est une mission importante. » d’après le Journal des débats de l’Assemblée nationale du jeudi 7 avril 2022.

Les aînés peuvent aussi s’adresser à l’AQDR section Ahuntsic–Saint-Laurent ou porter plainte auprès du Commissariat local aux plaintes et à la qualité des services à l’Hôpital Fleury. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec propose également une série d’organismes de défense des aînés. D’autres, comme le Comité logement Ahuntsic-Cartierville (CLAC) dénoncent régulièrement l’éviction de personnes aînées de leur logement. Cette liste n’est pas exhaustive.