Ginette, Le génie de Djinn

Élisabeth Boil, L’Événement, Scotstown/Hampden, Février 2022

 

En voulant rencontrer Djinn, ma grande question était : qu’est-ce qui fait qu’une artiste-peintre devient musicienne ? En lui parlant, j’ai pu observer toute l’étendue de mon ignorance : c’est la musicienne Ginette Bertrand qui a coloré sa vie avec la peinture.

Ginette Bertrand est musicienne dans l’âme. Elle joue du piano depuis l’âge de 7 ans et, petite fille, elle invitait ses amies pour qu’elles dansent sur les airs qu’elle composait au piano.

C’est donc naturellement qu’elle a orienté sa vie vers la musique. Elle a obtenu un baccalauréat en composition à l’université Laval en 1976. De 1983 à 1986, elle s’est perfectionnée en électroacoustique à l’université McGill, puis à l’Université de Montréal où elle a terminé une maîtrise en composition en 1986.

En 1974, Ginette présente son œuvre radiophonique de musique mixte, La Fugitive, au prix Gilson. Elle a, en 1976, représenté le Canada au prix Italia, puis au prix de l’O.R.T.F. de Radio-France en 1978.

Depuis 1976, elle a écrit plus d’une vingtaine d’œuvres, tant pour solistes que pour grands orchestres, tout en accordant une place de plus en plus privilégiée à la musique mixte (mêlant interprètes, généralement instrumentistes, et sons, fixés sur bande magnétique avant les années 1980, puis sur format numérique).

En 1986, elle fait la rencontre du Chorégraphe Pierre-Paul Savoie, elle revient à ses toutes premières amours, la composition pour la danse qui marque un tournant important de sa carrière : elle crée un premier concert multi média « Aigre-Douce » avec 4 de ses œuvres.

En 1987, elle compose « Don Quichotte de la Tache » qui est créé en Belgique, et « Ce n’est guère civil » pour la Place des Arts de Montréal.

En 1988, elle était l’invitée d’honneur de Montagn’Art à Saint-Hippolyte, lieu de son enfance, où elle présente deux de ses compositions chorégraphiées par Pierre Paul Savoie : c’est la poursuite d’une complicité intense avec PPS Danse qui durera plus de dix ans et qui lui a permis de sortir de l’ombre. Ses œuvres pour la danse seront jouées dans plus de 14 pays d’Europe, partout au Canada et aux Etats-Unis.

L’an 2000 fut une année riche pour Ginette : sa pièce Bagne est à l’affiche à New-York pendant 10 jours sur Off-Broadway (une grande fierté), elle reçoit le Grand Prix du Conseil des Arts et Lettres du Québec, et, dans la foulée elle instaure sa formule Expo-concert de salon pour concrétiser son désir d’amener l’art et la musique en région.

Cependant, le métier de compositeur a du mal à être reconnu dans la société québécoise, ce qui fait que les compositrices sont doublement marginalisées. Ginette se bat pour faire reconnaitre les compositrices et devient partie prenante de l’Association des femmes compositeurs du Canada.

Elle partage certainement l’opinion de Claire Bodin, directrice du festival Présences féminines, en France, qui déclare : « Depuis notre tendre enfance, on n’entend pas de musique de compositrices, ou si rarement qu’on n’en garde pas la mémoire. À nous, musiciens et musiciennes, aucun ‘’matrimoine’’ n’a été transmis ; on a été biberonnés à l’idée du génie du grand compositeur, toujours un homme, sans jamais s’interroger sur le répertoire des compositrices. »

Son œuvre Le Pèlerin, présentée au Musée d’art contemporain du Vieux Palais à St-Jérôme en Mars Avril 1992, témoigne de son effort de mettre les femmes sur la carte. Il s’agit d’une installation sonore pour l’exposition PAYSAGE HUMAIN incluant une présentation performance de 4 femmes créatrices (Yolande Brouillard, peintre/ sculptrice ; Ginette Bertrand, musicienne ; Céline Deguise, écrivaine ; et Nicole Morel, photographe).

En 1992, en collaboration avec Pierre-Paul Savoie, elle présente l’œuvre d’envergure, L’ombre d’un doute à l’Agora de la danse à Montréal.

Ginette Bertrand a également composé la bande sonore pour la vidéo ` »Mythofemmes » de Dominique Banoun et Ève Langevin, en plus de composer la musique d’un Collage Molière, présenté au Festival de Théâtre inter-collégial du Québec au printemps 1995. Elle a reçu une bourse du Conseil des arts et des lettres du Québec en 1995 pour composer la musique  d’une tragi-comédie musicale , La boîte vocale , puis en 1996 une autre bourse de résidence à Banff pour composer Pôle qui sera jouée à l’exposition universelle de Lisbonne.

Ce n’est que quand elle aura 40 ans, que la lumière de l’Archipel de Mingan, sur la côte Nord du Québec, où elle effectue un pèlerinage, lui parle et lui donne envie de peindre. Selon ses dires : elle entend la peinture et voit la musique. Pour Ginette, ses créations sont intimement liées. Une de ses premières œuvres en tant que peintre est la reproduction d’un des monolithes, nommés Bonnes-Femmes de l’archipel. Les fissures des monolithes de Mingan ont tellement inspiré Ginette, qu’elle en a fait sa marque signature d’artiste peintre : on les retrouve dans toutes ses œuvres. Pour Ginette, les lignes tracées dans la pierre par la nature sont des lignes de vie.

Autodidacte en peinture, elle impose ses créations et prend le nom d’artiste de Djinn, pour séparer ses carrières de compositrice et d’artiste peintre.

Saint-Hippolyte l’invite à nouveau, cette fois-ci en tant que Djinn, pour inaugurer le festival, l’Atelier des Arts, en 2016. Ses peintures ont un grand succès et elle est comparée à Chagall.

Elle y expose, entre autres, son autoportrait, dont elle dit :  »Je suis gémeaux. Je peux être maligne et bienveillante. Mon autoportrait représente la dualité ombre et lumière» .

En artiste toujours en mode « création », Djinn, pour l’exposition sur la préservation de l’eau ayant eu lieu dernièrement à Lac-Mégantic, a peint un triptyque particulier : une rame peinte recto verso suspendue par un fil de pêche à 2 toiles de même dimension et placées recto verso.

Ginette Bertrand aime les voyages et elle aime l’Asie. Elle a séjourné au Vietnam et au Cambodge et ses toiles inspirées par la lumière de ces pays sont empreintes de délicatesse et de chaleur. Elle en a ramené également l’inspiration pour la cuisine exotique qu’elle maitrise fort bien.

Une autre facette de Ginette Bertrand est son plaisir de jardiner et de cuisiner le produit de son jardin, souvent avec des recettes exotiques ramenées de ses voyages et des rencontres qu’elle a faites. J’ai ainsi eu le plaisir de déguster chez elle un petit repas haut en couleurs et en goût : velouté de fanes de betteraves, d’un beau vert, suivi d’une tchatchouka colorée de rouge et en dessert un clafoutis de griottes, le tout concocté à partir des produits de son jardin. Une vraie symphonie !

Ginette / Djinn aime également jouer aux cartes (elle cherche des partenaires). Elle aime partager ses passions : la musique, la peinture, la cuisine et nous accueille avec une grande gentillesse pour des visites de son atelier et les mini concerts qu’elle offre à Scotstown.

 

Avec Ginette / Djinn, la vie a de la couleur, des sons et du goût.