Le temps des sorcières

 Ariane Ouellet L’Indice bohémien, Abitibi-Témiscamingue,  p.3, Mars 2022

 

Levez la main, celles qui se sont fait dire par un médecin de se mettre nues pour vérifier un grain de beauté dans le dos? Qui se sont fait dire de perdre du poids avant de soigner leur genou? Qui se sont senties ignorées en expliquant les symptômes de leur enfant, qui avait pourtant besoin d’une intervention chirurgicale deux mois plus tard? Qui se sont fait prescrire des antidépresseurs parce que leurs symptômes de préménopause devenaient ingérables? Celles à qui on a dicté comment accoucher? Celles à qui on a fait un faux diagnostic par manque d’écoute et de suivi? Celles qui ont porté seules le poids de la contraception dans leur couple? Celles à qui on a reproché l’impatience ou le manque d’entrain à certaines périodes de leur cycle? Mères, sœurs, tantes, amies, filles, collègues, nos histoires ont de quoi indigner.

Les violences et les injustices envers les femmes prennent bien des visages. Elles ne sont pas que dans les humiliations conjugales et les coups de poing. Elles se cachent dans une culture patriarcale qui ne prend pas les femmes au sérieux. Histoire du Québec, en bref… Ce n’est qu’en 1964 que l’obligation d’obéissance des femmes à leur mari est abolie au Québec. En 1969, on décriminalise la contraception. En 1979, une agression sexuelle commise par un conjoint est reconnue comme criminelle. En 1996, on adopte la Loi sur l’équité salariale. En 2021, la Loi sur le divorce tient désormais compte des notions de violence familiale, qui incluent les abus sexuels, physiques, psychologiques et financiers. Même si certaines lois progressent, la culture ambiante est encore lente à changer.

Un exemple? Si vous avez « un certain âge », il est possible que vous ayez entendu parler, en 2021, de Loto-Méno, une série documentaire en trois volets produits par Véronique Cloutier. Au-delà des renseignements percutants concernant la ménopause et la périménopause, le reportage met en lumière un fait absolument troublant concernant la médecine occidentale. La formation générale en médecine concernant les hormones féminines est pratiquement nulle, et ce, même si ces dernières régulent 300 fonctions du corps humain chez 51 % de la population. Comme si les hormones n’avaient été étudiées que pour leurs fonctions reproductrices et à part ça, ciao. Faites des bébés, pour le reste, on s’en fout.

Autre exemple préoccupant : dans une émission scientifique diffusée à Radio-Canada en janvier dernier, la chercheuse Caroline Ménard, professeure adjointe au Département de psychiatrie et neurosciences de la Faculté de médecine de l’Université Laval, rapportait que, pendant longtemps, les souris femelles ont été écartées des recherches précliniques parce que leurs hormones compliquaient les protocoles de recherche. « Terrible excuse », affirme la chercheuse qui, depuis, s’emploie avec son équipe à rétablir la situation et à effectuer des recherches sur les causes et traitements de la dépression chez les hommes et les femmes, en fonction de leurs spécificités biologiques. Il faut comprendre que les molécules développées pour soigner les sujets s’inspirent des résultats d’études qui ont longtemps laissé les sujets féminins dans le néant. Encore une fois, la santé des femmes arrive bien tard dans les préoccupations de la science. Ça craint.

Ceci expliquant peut-être cela, ce n’est qu’en 2017 que « la science » a enfin pu révéler au monde entier le design merveilleux de cet organe méconnu qu’on appelle le clitoris. La même année, on a commencé à en diffuser l’image dans certains manuels scolaires de science et technologie… en France. Au Québec, toutefois, il semble qu’on n’a pas cru bon d’intégrer la chose dans les cours d’éducation sexuelle ni dans la plupart des manuels du secondaire. Peut-être parce que le clitoris est le seul organe féminin uniquement destiné au plaisir? Je pose la question… Selon des recherches faites par La Presse à l’époque, « une fille de 13 ans sur deux ne sait pas qu’elle a un clitoris […] et près de 84 % des filles de 13 ans ne savent pas comment représenter leur sexe, alors que plus de la moitié savent représenter le sexe masculin ». Si la jeunesse ne peut rien apprendre de complet sur la sexualité dans les manuels scolaires, pas étonnant qu’elle se tourne vers la pornographie pour combler sa curiosité. Ça craint.

Je pense qu’une partie de la solution se trouve dans la prise de conscience collective que cette situation n’a rien de souhaitable et doit être corrigée au plus vite. Les cours et les manuels scolaires ne devraient pas être soumis à des concepts moraux douteux qui prévalent sur la science. S’il le faut, que les éditeurs prennent les devants face à un ministère de l’Éducation rétrograde. La solution se trouve dans une éducation qui redonne aux personnes de sexe féminin leur pouvoir sur elles-mêmes et qui éduque tout le monde, sans exception. De l’école primaire jusqu’aux facultés de médecine.

Trop longtemps, les femmes ont été éduquées pour être dociles et soumises. Leur opinion n’a pas compté, pas plus que leur santé ou leurs droits fondamentaux. Il est grandement temps qu’on réinvente l’éducation et les modèles qu’on offre aux jeunes. Au diable les princesses passives qui attendent qu’on les sauve. Vive les Jeanne Mance, les Kateri Tekakwitha, Dorimène Desjardins, Christine Girard et Farah Alibay! Et vivement que la nature féminine cyclique cesse de faire peur. On est au 21e siècle, le temps des sorcières est révolu!