Nathalia Guerrero Vélez, Le Saint-Armand, Armandie, septembre 2021
Nancy et José de la Cortina habitent à Brigham depuis plus de 40 ans. Quand, en 1976, ils sont arrivés à Cowansville, ils étaient parmi les premiers latinos à s’installer dans notre région. Originaires du Chili, ils cherchaient à s’intégrer et à faire partie de la société québécoise. Quatre décennies et sept petits-enfants plus tard, ils se voient comme des Néo-Québécois heureux d’avoir été adoptés par les gens du coin.
José de la Cortina est né dans la ville paradisiaque de Valparaiso et Nancy, dans la non moins touristique Villa del Mar. Ils se sont rencontrés à Santiago de Chile, capitale du Chili, où ils débuteront leur vie à deux. José gagne sa croûte en tant qu’artisan du bois et Nancy, comme mannequin. Pendant que la situation politique et économique se détériore au Chili, la vie, elle, trace déjà des plans pour les deux amoureux.
Mais revenons quelques années en arrière. Lors d’une promenade, José aperçoit un touriste qui étudie une carte avec l’air de quelqu’un qui s’est perdu. C’est Raymond Bourassa, un homme de Cowansville en visite à Santiago, qui cherche un endroit abordable pour passer la nuit. José lui offre de l’héberger et c’est ainsi que naîtra une amitié qui ne se démentira jamais et qui contribuera à changer un jour la vie du jeune Chilien.
Fin de la parenthèse. En 1975, Nancy et José, qui ont déjà un premier enfant, expriment le souhait de s’installer au Québec. Raymond Bourrassa les parrainera avec succès. Cette année-là, les de la Cortina arrivent donc à Montréal. Possédant déjà le statut de résidents permanents, les deux parents entreprennent aussitôt de suivre des cours de français. « La loi 101 existait déjà, confie Nancy, et nous étions déterminés à apprendre le français et à nous intégrer. J’avais alors 21 ans mais j’arrivais à peine à dire mon âge en français », se rappelle-t-elle avec un sourire aux lèvres. Nous savons tous que l’apprentissage de la langue française constitue un défi majeur pour toute personne nouvellement arrivée au Québec.
En 1976, Victoria, la mère de José, alors veuve, viendra partager l’aventure boréale de la petite famille. « Elle a aussi appris le français, qu’elle parlait avec un accent prononcé. Elle était impressionnée par la sécurité d’ici et par le système de santé. Elle aimait beaucoup le Canada ! », raconte José avec une certaine nostalgie, sa mère étant entre-temps décédée à l’âge de quatre-vingts ans.
Toujours en 1976, la petite famille décide de s’installer à Cowansville après avoir terminé leur cours de français. Une fois de plus, Raymond les aide dans leurs démarches. « On ne voulait pas rester à Montréal, où les Chiliens et les différentes communautés se tenaient ensemble ; on cherchait à vivre avec et comme les Québécois. On a donc saisi l’occasion de s’installer à la campagne », explique Nancy.
Aussitôt arrivé, José se joint à l’Association des artisans de Cowansville. Il travaillera également comme ouvrier chez IBM ainsi que dans d’autres entreprises de la région. « À cette époque-là, nous avons rencontré beaucoup de monde et c’est là que notre véritable intégration a commencé », confie celui qui aura passé quinze ans comme préposé de nuit au Centre Butters de Brigham.
Pour sa part, Nancy travaillera comme professeure d’espagnol et aussi comme secrétaire pour une entreprise de la région. Entre temps, le couple aura un deuxième fils, qu’il prénommera Christian.
Un jour d’été qui s’avérera inoubliable, José et Nancy feront la connaissance des membres de la famille Naud-Poulain, propriétaires du vignoble La Bauge de Brigham. Ils se lient d’une telle amitié que la famille québécoise, propriétaire d’un grand lopin de terre, offre de leur en vendre une parcelle. Nancy et José n’en reviennent pas ; ils rêvaient justement d’avoir un jour leur propre maison. Cependant, ils n’ont alors que 20 $ dans leur compte de banque. « La famille Naud-Poulain nous a accueillis comme si nous faisions partie de de leur famille. Nous avons payé ce terrain en vendant les œuvres de José, une à la fois », se rappelle Nancy avec émotion.
Cela se passait en 1984, première année d’une aventure grandiose et inoubliable qui en durera huit et au cours desquelles les deux Néo-Québécois construiront leur maison de leurs propres mains, avec le soutien inébranlable de la communauté. « Nous avons été véritablement adoptés par les gens d’ici. Nous n’aurions jamais pu réaliser ce rêve sans leur aide ; nous sommes très reconnaissants pour ça », explique José.
C’est le cas notamment d’Edmond Perrault, un autre ami de la famille de la Cortina, qui avait lui aussi construit sa propre maison et qui leur a offert ses plans et son aide. « Nous ne connaissions pas le monde de la construction. Edmond nous a tellement aidés ! C’est incroyable ! » rappelle Nancy. Une fois les fondations posées, les murs extérieurs montés et la première salle de bain équipée, ils s’installeront tant bien que mal dans la maison, qui restera en chantier durant de nombreuses années. « Chaque fois que nous vendions une œuvre, nous achetions une feuille de Gyproc » confie Nancy.
En plus de la construction de la maison, ils bâtiront un poulailler, cultiveront leur potager et élèveront vaches et cochons. Préparées l’automne, les conserves les nourriront durant l’hiver, comme cela se fait dans leur pays d’adoption. José sculpte le bois et commence à vendre les meubles qu’il fabrique. Nancy l’aide dans la préparation du bois.
À eux deux, ils forment une équipe efficace mais, au bout de toutes ces années de dur labeur et une fois la maison terminée, la fatigue finit par les rattraper. José Patricio, l’aîné, doit partir pour le cégep tandis que Christian étudie à la polyvalente Massey-Vanier. L’envie leur prend alors de voyager. Ils louent leur magnifique maison et décident de partir un an avec les enfants. « Nous sommes montés dans notre fourgonnette Volkswagen et sommes partis à la découverte du Canada, des États-Unis et du Mexique. Nous avons apporté tout le matériel nécessaire pour la scolarisation des enfants durant le voyage. Nous souhaitions passer du temps de qualité en famille avant que les deux garçons quittent la maison », confie Nancy, dont le regard reflète un profond sentiment de satisfaction du devoir accompli.
À leur retour, le couple s’impliquera dans la création de Solidarité ethnique régionale de la Yamaska (Sery), un organisme destiné à aider et soutenir les immigrants qui arrivent sur le territoire. De plus, José assurera durant neuf ans la présidence du comité de loisirs de Brigham, tandis que Nancy s’investira à fond dans le comité de parents de l’école des enfants, dont elle sera un temps la présidente.
Devenus grands-parents, ils décident de se consacrer entièrement à leur famille et à leurs petits-enfants. Tout semble bien aller quand, en 2011, José doit subir une opération, en principe très simple, pour une sinusite. Cependant, en conséquence d’une erreur médicale, il subit un accident vasculaire cérébral. La vie du couple en sera entièrement transformée. Lui doit réapprendre à marcher. Sa mémoire lui fait défaut, une de ses jambes ne répond pas toujours à la commande et il lui arrive de faire des crises d’épilepsie. « Ça a été tout un défi, cette épreuve-là… À présent, c’est Nancy qui continue à fabriquer et tailler les meubles en bois », confie-t-il.
Heureusement, au cours de cette période difficile, ils se sont toujours sentis épaulés par les membres de la communauté. Il faut dire qu’ils le leur ont souvent rendu la pareille. Ne dit-on pas qu’on récolte ce que l’on a semé ?
Aujourd’hui ils profitent de leur belle maison, de leur magnifique terrain, de leur famille et de leur amour, qui a été la brique et le béton de leur foyer, de leur art et de toute leur vie. Amour qui leur a permis de se bâtir, de réaliser leurs ambitions et leurs espoirs dans ce nouveau monde.