Gilles Simard, La Quête, Québec, août 2021
Fraîchement arrivé au Parvis de l’Église Saint-Roch en passant par une rue Dupont brillante de flashs de police et grouillante d’usagers aux abords de Lauberivière, je prends une pause avant d’aller à la réunion des AA au sous-sol de l’église, à côté de la pièce servant officiellement de « local[1] » pour la classe dite marginalisée qui aire et erre au centre-ville de Québec : personnes en situation d’itinérance, ex-psychiatrisées, travailleurs et travailleuses du sexe et autres désaffiliés du système en tous genres.
Dérangeants, mais pas dangereux pour autant
Tout en gardant un œil distrait sur la faune qui s’active autour de la cathédrale — résidents de Chapleau, clients de la Caisse Pop et du Haricot magique, dealers à l’affût, toxicos transis, cyclistes en transit, prostituées au repos et aficionados du Frigo — je me demande pour la nième fois comment aborder mon sujet sans nécessairement tomber dans l’angélisme et les bons sentiments. Comment être authentique et non convenu, sans tomber dans le jugement facile voire le mépris alambiqué. Car quoi ?!?
Disons-le crûment, le Parvis de l’église et la rue Dupont revêtent parfois des allures de Cour des Miracles ! Et ne jouons pas à l’autruche, c’est vrai que la cohabitation peut devenir lourde dans un espace aussi restreint. De même, voir un mec hirsute engueuler un ami imaginaire, ou une fille à moitié nue hurler sa vie, oui, ça peut déstabiliser et faire peur. Et voir des flics intervenir à tout bout de champ, c’est vrai aussi que ça peut déranger. Surtout au sortir d’une pandémie, alors que tout le monde est encore un peu parano, un peu anxieux.
N’empêche, et nonobstant les problèmes d’espace, il faut ici le rappeler pour la millième fois : « Qui dit dérangeant, ne veut pas obligatoirement dire dangereux ! » Bien au contraire ! Exception faite d’un très petit pourcentage, ce sont les personnes qui vivent avec un trouble de santé mentale qui sont les plus à risque de se faire voler, agresser, molester ou violer. Ce sont ces gens-là qui sont les vraies victimes potentielles ! Alors… Prière, les médias, de bien ajuster la grosseur de vos titres, svp ! Une infraction mineure demeure une infraction mineure et une incivilité ne se compare pas à un braquage à domicile quand même…
Une séduction, mais à l’envers
Toujours assis sur mon banc de pierre, je souris en voyant la minuscule Kim faire la manche pour les quidams de la rue Saint-Joseph. Au-delà de ses tatouages et de son allure de punk mal fagotée, Kim est une sympathique décrocheuse de Trois-Rivières qui fait du NA et qui mène un projet de retour aux études avec des intervenants du milieu. Un peu plus loin, c’est Bruce, un ex-psychiatrisé, qui passe son balai sur l’asphalte en asticotant Lulu, une soixantenaire à la tête rasée que tout le monde connaît. Et j’aperçois aussi Charlotte, Pierrot, Jimmy, Manon et plusieurs autres que j’ai rencontrés dans mon ancienne vie de pair-aidant… Autant de gens qui ont toute une vie, une histoire personnelle, une famille et, oui… des projets ! Des personnes parfois mal dégrossies, peu amènes, mal attriquées, mais drôlement attachantes, et qui peuvent opérer sur vous une véritable séduction à l’envers !
Aller au-delà de l’obsession sécuritaire
Au moment où j’écris ces lignes, début-juin, le futur ex-maire Labeaume lançait un appel au calme et annonçait des mesures physiques importantes pour faciliter l’intégration des nouvelles ressources (Lauberivière) et une meilleure cohabitation de tous les genres en basse-ville. Tant mieux ! Je ne sais pas ce qu’il en sera en juillet, quand vous aurez ce numéro entre les mains, mais chose certaine, il reste énormément de travail à faire pour aspirer à une cohabitation harmonieuse.
La maladie mentale, la toxicomanie et l’itinérance sont de méchantes verrues, des tares peu ragoûtantes que nous n’aimons pas voir quand nous nous regardons dans le miroir ; pourtant, elles ne sont qu’un reflet de ce que nous valons comme société. Aussi, et même si les mesures de la Ville sont louables, il faudra beaucoup plus que ça si l’on veut éradiquer un jour les germes qui produisent à répétition de tels chancres.
Il faudra du temps, de l’argent, de l’éducation, de la prévention et travailler avec acharnement sur les grands déterminants : logement, revenus, travail, réseaux, etc. Il faudra surtout une authentique volonté politique pour faire enfin de ce triste combo maladie mentale-itinérance un vrai chantier national, un peu comme le Québec l’a fait dans le passé avec d’autres projets d’envergure.
Que la santé mentale globale des Québécois devienne un objet de fierté nationale, pourquoi pas ?!?
[1] Local : Depuis quelques mois, Le Local est géré par une coalition de groupes communautaires (Pech, PIPQ, RAIIQ, Engrenage, etc.).