Éric Lemieux et sa machine créatrice d’arômes, au Mouton Noir.

Nouvelle vocation, nouvelle passion

Suzanne Lapointe, Ski-se-Dit, Val-David, août 2021

 

Vient un moment dans la vie où il faut se remettre en question pour aller de l’avant et se sortir la tête… de la pandémie. C’est l’aboutissement d’une réflexion à deux, qui a germé graduellement dans la tête d’Annie Riendeau et de son conjoint Éric Lemieux, qui est à l’origine du plus récent projet du Mouton Noir, noir comme le café. Pour Éric, il faut dire que la passion pour le café clignotait déjà dans son cœur et dans son esprit depuis longtemps.

Éric est bien connu pour son autre passion, la musique, qu’il a pratiquée avec le groupe originaire de Val-d’Or La Chicane, les maestros du «jazz-rock», ou «lounge rock», selon Wikipedia. Éric en a été à la voix et le clavier. Ce qui ne l’a pas empêché de faire des études universitaires en administration et en marketing. Lorsqu’il y a eu changement de cap, la dernière année a été surtout consacrée à sa musique.

On connaît la suite : tournées, spectacles, reconnaissance et applaudissements. Mais ce que l’on découvre chez lui aujourd’hui, autour d’un café, c’est ce besoin fiévreux de toujours évoluer à travers ses passions. À l’écouter, on apprend beaucoup sur la richesse de son parcours et de son évolution. Homme sérieux et réfléchi, il démontre la sagesse de son vécu. Et quelle musique le fait vibrer en ce moment? Une vieille ritournelle, celle du percolateur : avant même d’ouvrir Le Mouton Noir, il y a une quinzaine d’années déjà à Val-David, Éric était déjà tombé dans le café quand il était petit.

Lorsqu’il parle de ses recherches exhaustives et de ses voyages dans l’univers du café, son enthousiasme devient contagieux.  Observation majeure : la nouvelle tendance est à une torréfaction moins prononcée, afin d’éliminer les saveurs carbonisées et laisser place aux saveurs de chaque terroir. Et tout naturellement, son intérêt s’est tourné vers la qualité, la traçabilité et les valeurs sociales que cela implique.

On sait que d’une région à l’autre, le goût du café était différent, puisque le terroir est différent. Comme toutes les saveurs, beaucoup de nuances proviennent de la qualité de la terre et de l’altitude où la plantation de café se trouve. Les premiers choix d’Éric, après une longue exploration jubilatoire, se sont arrêtés sur cinq régions du monde : Colombie, Guatemala, Pérou, Costa Rica, Rwanda, Éthiopie pour un florilège de raisons différentes : café équilibré, amer-acidulé, Colombie; goût plus sucré et chocolaté, Guatemala; acidulé complexe, avec des arômes d’agrumes, Pérou; saveur fruitée, intense et caramélisée, Rwanda; variété Heirloom, aux notes de noisette, de chocolat et de miel, provenant du terroir le plus haut du monde, Éthiopie. Intensité et diversité du goût : toute une palette de couleurs infinies. Au moment de notre rencontre, deux petits nouveaux arrivaient de Costa Rica et de Rwanda.

La période de la pandémie, par la force des choses, a provoqué une réflexion trans- générationnelle et suscité un questionnement chez beaucoup sur les choix de carrière. Mais ce changement de cap dans la vie ne se traduit pas obligatoirement par de l’instabilité. J’avoue avoir de l’admiration pour celles et ceux qui osent faire le grand saut vers des nouveaux horizons quand le destin leur tire le tapis sous les pieds : c’est pour moi un signe d’intelligence.

Pour Éric Lemieux, la période de pandémie a été l’occasion d’acheter un torréfacteur, histoire d’expérimenter des cafés d’origines diverses. Ce qu’il continue à faire aujourd’hui. Avec une approche artisanale et toute personnelle, il explore et mesure la densité, l’humidité, la couleur, le parfum… un véritable professeur Tournesol dans son laboratoire!

C’est ainsi que j’apprends qu’il faut expérimenter avec plusieurs kilos de grains avant de mettre un nouvel arôme à la carte. Oui, mais « qu’est-ce tu fais avec les grains qui ne servent qu’à l’expérience? », lui ai-je demandé. Avec un sourire mystérieux, il me répond : « éventuellement du parfum, de la bière, du savon, de la crème glacé… ». Rien n’est perdu, au Mouton Noir, et l’avenir nous le prouvera. Car une fois leur nouveau commerce établi, Annie et Éric ont l’intention de développer divers produits dérivés du café. Avis aux personnes intéressés dans le village!

Pour conclure, voici une belle histoire à laquelle nos torréfacteurs sont reliés par leur nouveau commerce. Elle concerne un café regorgeant de notes de mandarine, de mangue et de chocolat, né sur les flancs du Machu Picchu péruvien. Il est le fruit d’une coopérative biologique créée en 2012, l’Aproccurma, qui soutient les multiples agricultrices indépendantes de la province de Rodriguez de Mendoza. Ce regroupement de femmes possède fièrement ses propres terres et fermes. Et désormais, on peut goûter cette merveille équitable, qui contribue à l’indépendance de ces femmes au Pérou, juste ici, rue de l’Église, au Mouton Noir. Comme quoi la passion des bonnes choses est un véritable remède à une pandémie, aussi universelle soit-elle.