Des pensionnaires en uniforme prennent la pose devant la St Eugene’s Mission en 1926. (photo : Archives Deschâtelets-NDC/CNVR)

Sœurs de la Providence : un rôle actif dans les pensionnats autochtones

Simon Van Vliet, Journaldesvoisins, Ahuntsic-Cartierville, le 5 août 2021

Les Sœurs de la Providence sont généralement connues et reconnues pour leurs bonnes œuvres. On oublie cependant qu’au moment où elles sont venues s’établir à Cartierville pour y fonder l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal en 1926, les religieuses étaient activement impliquées, dans l’Ouest canadien, dans l’administration du système des écoles résidentielles, où des centaines d’enfants autochtones ont perdu la vie au fil des décennies.

C’est le cas notamment à la St. Eugene’s Mission à Cranbrook, le premier des huit pensionnats gérés par les Sœurs de la Providence, où la présence de 182 sépultures anonymes a été confirmée en juin.

 

Des vies envolées

« On nous a dérobés de nos futurs aînés », a déclaré à CBC le chef Jason Louie de la Lower Kootenay Band lors du dévoilement de la découverte.

« Ces enfants, s’ils n’étaient pas décédés, seraient devenus nos aînés et des enseignants dans nos communautés, des gardiens du savoir. C’est épouvantable. »

Lorsque les sœurs se sont retirées de l’établissement en 1929, la tuberculose faisait des ravages dans le pensionnat.

La Indian School History and Dialogue Center souligne que, en plus de problèmes endémiques de tuberculose, « il y avait également des éclosions récurrentes d’influenza, d’oreillons, de rougeole, de varicelle » à la St. Eugene’s Mission.

Les statistiques du pensionnat de Cranbrook figurent d’ailleurs parmi celles utilisées dans un rapport du Dr Peter Bryce qui a documenté le taux de mortalité alarmant dans les pensionnats autochtones entre 1892 et 1908. Selon ce rapport, cité dans le rapport de la Commission de vérité et de réconciliation (CVR), le taux de mortalité des jeunes autochtones dans les écoles résidentielles était alors, toutes causes confondues, environ 20 fois plus élevé que le taux de décès dans la population canadienne en général.

L’épidémie de tuberculose sévissait à l’époque dans de nombreuses autres écoles résidentielles, dont celle de Crowfoot, ouverte en 1899 à Cluny dans le sud de l’Alberta et gérée par les Sœurs de la Providence jusqu’en 1934.

 

« Le sud de l’Alberta était un véritable foyer de tuberculose avant la Première Guerre mondiale jusqu’à la période de l’entre-deux-guerres, et le taux de décès dans les écoles comme Cluny était particulièrement élevé », souligne l’historien Jim Miller.

 

En 1908, 22 des 39 élèves qui fréquentent ce pensionnat sont atteints de tuberculose, rapporte le Dr James Lafferty, qui, dans la foulée du rapport Bryce, critique sévèrement le gouvernement d’exposer les jeunes autochtones à « un risque très élevé de contracter la maladie par l’entremise des élèves déjà infectés dans les écoles ».

 

L’évangélisation avant l’éducation ?

Outre les conditions sanitaires déplorables, les conditions de vie des élèves des écoles résidentielles étaient tout sauf propices aux apprentissages — et les enfants y passaient souvent autant sinon plus de temps à exécuter des tâches éreintantes, comme porter de l’eau ou couper du bois de chauffage, qu’à étudier.

Un article paru en 2010 dans la Revue d’histoire de l’éducation s’est penché sur deux écoles administrées par les Sœurs de la Providence dans le nord de l’Alberta, soit St. Martin’s à Wabasca et St. Bruno’s à Joussard dans les années 1940 et 1950.

« C’était un modèle ségrégé qui ne ressemblait en rien aux écoles publiques fréquentées par la majorité des canadiens non-autochtones et qui se rapprochait davantage du système des écoles industrielles ou de réforme, où les jeunes négligés ou délinquants étaient incarcérés », peut-on lire dans l’article signé par Brian Titley, professeur émérite en histoire à l’Université de Lethbridge en Alberta.

Le programme de ces écoles consistait en un mélange d’alphabétisation élémentaire, de formation manuelle et d’éducation religieuse.

Pour le peu d’éducation formelle qu’ils recevaient, les élèves autochtones se voyaient en outre offrir un enseignement de piètre qualité dans les pensionnats.

« Le programme académique souffrait de la résistance des Sœurs de la Providence à fournir des enseignantes qualifiées », indique le professeur Titley dans son article.

Jusque dans les années 1950, il était « très, très courant » d’avoir des sœurs non formées qui enseignaient dans les écoles résidentielles, souligne Jim Miller.

L’article de Brian Titley souligne cependant que les Sœurs de la Providence présentaient le « pire bilan » en termes de qualification des religieuses affectées aux écoles résidentielles en Alberta, avec à peine 40 % des sœurs qui étaient adéquatement formées pour enseigner.

St. Martin’s et St. Bruno’s, deux écoles fondées respectivement en 1901 et en 1913, semblent être restées attachées à une vision plus missionnaire qu’éducative jusqu’à leur fermeture à la fin des années 1960.

« Elles sont demeurées essentiellement vouées à l’évangélisation — engagées bien plus envers l’inculcation de discipline morale et de déférence à l’autorité religieuse qu’envers la réussite et à la réalisation personnelle des élèves », peut-on lire dans la conclusion de l’article.