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Convaincue et convaincante : Rose-Aimée Automne T. Morin

Kassandra Blouin, Le Monde de Montréal, juin 2021

« Le plus épuisant dans le militantisme est le regard que l’on doit porter sur soi; réfléchir à chacun de nos comportements, à chacune de nos pensées, essayer de mettre en lumière nos angles morts.» Difficile de ne pas tomber sous le charme de cette femme bien ancrée qui vous parle de toutes ses batailles menées avec le plus grand des sourires. Sa volubilité et sa joie de vivre nous donnent envie de l’écouter, peu importe le sujet.

 

Dans toute sa générosité

Fille de comédien, Rose-Aimée a toujours eu une facilité avec les mots. Lisant Vian et Steinbeck dès l’âge de 8 ans, elle s’exprime avec grandeur et accessibilité. Il n’est donc pas étonnant de la voir mener des entrevues ou de répondre à des questions avec les termes les plus précis, et de surcroît vulgarisés de manière déconcertante. C’est ce qu’elle s’applique à faire dans sa nouvelle série documentaire Comment devenir la femme parfaite? diffusée sur Tout.tv : expérimenter et vulgariser un des plus profonds malaises de notre société patriarcale qui assaillent les femmes en rendant le tout accessible et léger. Tous les projets auxquels elle se livre semblent connaître cette même convergence que sont l’ouverture, le développement et le féminisme.

 

Grandir trop vite

C’est dans cette même série qu’elle entamera sa réflexion sur son besoin insatiable de plaire. Dans une société où la séduction est une arme de choix, il s’avère difficile de s’en libérer. Encore plus lorsqu’elle nous a été apprise dès l’enfance. Rose-Aimée devint une jeune femme très tôt. Modelée par les idéaux de son père mourant, elle n’aura d’autres choix que d’affronter sa propre conception de la féminité. Elle se rend rapidement compte du pouvoir, mais également de toutes les inégalités que résultent le genre féminin.

Si aucun moment n’a clairement déclenché son militantisme féministe, elle se souvient très bien avoir compris son avantage lors d’une chicane fraternelle au cours de son enfance : les menstruations, cette réalité crainte par les hommes. Puis, cette volonté de comprendre s’est ancrée et développée par des lectures ou des conversations trop adultes. Son activisme semble faire partie intégrante de sa personne; à chacune de ses phrases, les mots sont refrain connu. Son militantisme teinte chaque sujet amené.

 

Se définir

Son premier modèle de femme forte remonte à sa grand-mère. Pianiste et chanteuse lyrique, elle fut la première femme à obtenir une émission de radio à Montréal. Puis elle s’abreuvera d’autres modèles, tel que Martine Delvaux, professeure à l’Université du Québec à Montréal. Des discours loin du sien, mais tout aussi puissants et nécessaires. Du haut de ses 31 ans, elle connaît bien ses avantages de femmes blanches aisées. Son vécu n’est pas universel et tout à fait privilégié. Ayant un micro, elle ne se considère pas comme la défenderesse de toutes les causes. Elle préfère prêter sa voix à des gens plus pertinents et plus renseignés qu’elle. Elle invite donc des spécialistes à ses côtés lors d’entrevues télévisuelles ou radiophoniques par exemple. Elle s’attarde également à promouvoir l’intersectionnalité du féminisme. En tant que féministe, la responsabilité de représenter ses consœurs est primordiale. Une bonne manière de s’intéresser à des voix plus loin de sa réalité est Black Feminist, ce podcast de Roxanne Guay qu’elle pointe comme une porte d’entrée à ceux qui veulent bien y participer.

«On s’est fait enseigner que c’était de notre faute : c’est parce que notre jupe est trop courte. On ne peut pas aller à l’école si on voit notre micuisse parce que les garçons ne seront pas capables de se retenir.»

 

Dénonciations et répercussions

Plusieurs soulèvements sociaux se sont produits durant le confinement du printemps 2020. Loin d’être la première ni la dernière, une vague de dénonciations d’agressions sexuelles a déferlé sur le milieu artistique. La grande rousse ne s’étonne plus devant de telles situations, se questionnant plutôt sur le nombre de temps que cela prendra avant que les femmes soient prises au sérieux. « La culture du viol ce n’est pas que tous les hommes sont des violeurs, mais qu’on est la source de toutes les violences que l’on subit, que l’on doit cacher notre corps.» Il y a vraiment une urgence de revoir la façon dont on accueille les victimes, leur demandant de ne pas faire d’éclats et de vivre seules leur bouleversement. Il est impensable de demander le silence à ces victimes en plus de tout ce qu’elles vivent déjà.

Comment gère-t-on les accusations lorsqu’elles sont faites publiquement? Les personnes accusées on-t-elles une responsabilité sociale? Si Rose-Aimée a sa propre opinion, il va de soi que le conditionnel n’est pas à utiliser dans aucun texte d’excuses.

La première étape est évidemment d’avouer sa faute, mais surtout de ne pas demander à personne de passer l’éponge. Il ne faut pas oublier non plus que la gloire sur les réseaux sociaux n’est pas un acquis et qu’aucune reconnaissance n’est due. Elle ajoute qu’il peut être pertinent de penser à fermer ses réseaux sociaux pour que le processus s’entame dans une sphère strictement personnelle. Une prise de conscience ainsi que du travail personnel sont nécessaires et ne doivent pas être faits pour être exposés. Du chemin a été parcouru entre ces différentes vagues de dénonciations : nous semblons plus exigeants envers la réaction des agresseurs.

 

Et plus tard?

«Être féministe» est maintenant presque un prérequis dans notre milieu culturel, personne ne s’ouvrirait ouvertement sur son sexisme sans se faire ramasser. La normalisation démontre que les idées s’enracinent. Contrairement à d’autres, Rose-Aimée croit que les hommes peuvent être des alliés à la cause. Cependant, leur responsabilité n’est pas de leader le groupe, mais bien d’écouter et de soutenir. Les prochaines générations amèneront certainement ce mouvement encore plus loin selon la principale intéressée. Échangeant régulièrement avec les jeunes, grâce à ALT (Vrak TV) entre autres, elle croit fermement qu’ils sont plus ouverts et plus sensibilisés.

En définitive, les luttes ne sont pas en vain, mais loin d’être achevées. Il va de soi que c’est tous ensemble que nous apprendrons et améliorerons les choses.