Paul-Henri Frenière, Journal Mobiles, Saint-Hyacinthe, avril 2021
Ainsi donc, la Ville de Saint-Hyacinthe donne son aval à la destruction de six maisons sur l’avenue Saint-François pour permettre la construction d’un immeuble luxueux destiné aux retraités fortunés. J’essaie de me mettre dans la peau de l’un des résidents âgés (et beaucoup moins nantis) qui ont été chassés de leur milieu de vie pour faire place aux plus riches.
Quand j’ai reçu l’avis d’éviction, je n’en croyais pas mes yeux. « Ils ne peuvent pas me faire ça, me suis-je dit. C’est trop injuste. »
J’habite ici depuis 50 ans et j’ai toujours payé mon loyer à temps. J’ai entretenu comme il faut l’intérieur et l’extérieur de mon logement. On ne peut rien me reprocher, sauf d’être pauvre…
Je ne veux pas quitter ce quartier où j’ai vécu tant d’années, et pour aller où ? Il n’y a pratiquement pas de logements à louer dans cette municipalité. Ceux qui restent me demandent deux ou même trois fois le prix de mon loyer actuel. Désolé, je suis incapable de payer.
J’ai des amis, ici, c’est comme une communauté. J’ai des voisines et des voisins encore plus âgés que moi. J’aimais ça leur parler. Où vont-ils aller ? Et comment vais-je faire pour déménager ? Tant de choses que j’ai accumulées au cours des années ; je ne pourrai jamais tout apporter. Tant de choses qui vont s’envoler en fumée.
Et puis, je n’ai plus l’énergie que j’avais. J’ai de plus en plus de problèmes de santé. Juste à y penser, je sens ma pression monter. J’ai mal au dos, aux jambes et aux pieds. Comment vais-je faire pour transporter les boîtes dans l’escalier ?
Mais le pire, c’est quand je vois leurs publicités à la télé : une madame en train de danser et qui n’entend pas le téléphone sonner, même chose pour le bonhomme qui a les yeux masqués et qui tire du fusil sur des ennemis imaginaires. Trop occupés à avoir du fun pour répondre au téléphone. Des vieux actifs et joyeux parce qu’ils ont les moyens de se le payer. C’est ça, leur réalité ? En tout cas, ce n’est pas la mienne.
Le seul réconfort que j’ai, c’est de penser à toutes ces personnes qui ont voulu nous aider. On a fait signer une pétition. Des hommes et, surtout, des femmes de mon quartier sont allés souvent à l’hôtel de ville pour s’opposer aux démolitions. Il y a même eu une marche dans les rues du centre-ville. Une centaine de personnes, d’ici et d’ailleurs, ont manifesté pour réclamer qu’on arrête ce projet immobilier insensé pour le quartier.
Mais nos élus municipaux, ceux et celles pour qui on a voté pour nous représenter, n’ont pas écouté. Le maire, les hommes et les femmes qui sont au conseil municipal ont préféré satisfaire l’appétit d’un gros promoteur qui va faire des millions, tout ça pour récolter davantage de taxes… un gros magot de taxes.
Me semble que si j’étais à leur place, j’aurais honte de me regarder dans le miroir. Honte d’avoir privilégié une entreprise milliardaire au détriment de sa propre population plus fragile. Honte tout court.