Anne-Mari Urli, Le Mouton NOIR, Rimouski, le 28 janvier 2021
Québec investit 100 millions de dollars en santé mentale d’ici 2022. Injecter de l’argent dans un système qui ne répond qu’après coup aux problèmes de santé, est-ce suffisant? Cela ne risque-t-il pas de renforcer les méthodes pour le moins coercitives employées auprès des personnes vivant avec un problème de santé mentale?
La loi P-38, ça vous dit quelque chose? Il s’agit de la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui. Cette loi, en vigueur depuis 1998, permet aux policiers d’enfermer, sans son consentement, sous garde préventive à l’hôpital, un individu en crise. Les policiers n’ont même pas besoin de preuves matérielles d’un délit ou de propos écrits pour que les infirmières leur obéissent. La garde provisoire peut durer jusqu’à 72 heures sans ordonnance d’un juge ou sans qu’un examen psychiatrique ne soit effectué. Une dénonciation d’un tiers peut déclencher le processus. L’individu subira deux évaluations psychiatriques par des spécialistes pour juger de sa dangerosité. En général, très peu de temps est accordé au patient à la cour et lors de ce processus juridique. L’entourage et les policiers pèsent lourd dans la balance. Par ailleurs, les deux évaluations psychiatriques préalables pour la garde autorisée sont faites très rapidement. Souvent peu collaboratif, le patient se sent lésé.
Forcer une hospitalisation contre la volonté d’un individu a des impacts négatifs considérables. À l’hôpital, la majorité des patients souffrent de déshumanisation. Ce n’est pas pour rien qu’après un épisode de psychose, la majorité des patients ou plutôt des individus psychiatrisés souffriront d’une dépression. À leur sortir de l’hôpital, ils souffriront encore des mois de ce qu’ils auront vécu pendant leur hospitalisation et auront des symptômes résiduels de leur crise. C’est pourquoi, et à juste titre, Ervin Goffman qualifie l’hôpital « d’institution totale ». Elle ne guérit pas. Elle ne fait qu’encadrer temporairement les individus qui s’y retrouvent contre leur gré.
Pour Franco Basaglia, célèbre psychiatre italien, cet état du système reflète un problème fondamental : l’oubli des droits des individus psychiatrisés. Pour lui, déconstruire la maladie mentale et le conditionnement qui vient avec elle ne signifie pas nier les manifestations de « folie ». Ce qu’il critique, c’est l’institutionnalisation et la pathologisation excessive des émotions et des comportements humains qualifiés souvent à tort ou de façon excessive de dangereux. Il refuse l’aspect immuable et substantialiste, c’est-à-dire inné et naturel, de la maladie mentale et préfère parler de crise. Il s’agit de circonscrire dans le temps les actes que manifestent depuis toujours les individus. On offre ainsi au patient l’espoir d’être plus qu’un malade mental. La personne peut prendre conscience par elle-même de ce qui l’a amenée à vivre une crise avec l’appui de différents professionnels du secteur de la santé dans une approche axée sur l’autonomisation.
Brièvement, il s’agit, à différentes échelles, de redonner à l’acteur ou aux acteurs une capacité d’agir sur leur vie. Ce processus d’autonomisation est à la fois individuel, collectif et sociopolitique. L’exclusion des patients du processus de décision nous fait oublier qu’ils font partie intégrante de la société. Considérer que tout est politique et mettre de l’avant la notion d’autonomisation nous permet de nous interroger sur nos réponses sociétales envers les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, plutôt que de simplement leur inculquer que tout est de leur faute et que la génétique a décidé de s’en prendre à elles.
La question se pose maintenant. Pourquoi, dans la région, n’y a-t-il pas encore d’association pour faire valoir les droits des patients comme il s’en fait ailleurs? Pourquoi n’écoutons-nous pas avec respect et sérieux ce que ces individus ont à dire, certains aux prises avec une réelle maladie mentale et d’autres ayant vécu une psychose passagère? En règle générale, chacun a le droit d’accepter ou de refuser de recevoir des soins de santé, mais en pratique et selon les témoignages recueillis, il en est autrement. Si nous avons à cœur la santé de notre population, solidifions les assises des mouvements communautaires pour créer une nouvelle tendance positive orientée vers la prise de position et la protection des droits des patients. Ceci est un appel à tous! Citoyens, citoyennes, manifestez-vous!