Sophie Parent, Entrée libre, Sherbrooke, décembre 2020
Comme chaque année, le temps des fêtes signifie une augmentation marquée au niveau des revenus pour plusieurs commerces, ainsi qu’une hausse de l’envoi de courrier et de colis chez Poste Canada. Avec une pandémie à l’échelle planétaire et la montée en flèche du commerce en ligne, déjà amorcée depuis quelques années, la fin de 2020 promet d’être tout sauf ordinaire chez nos commerçants ! Entrée libre est allé à leur rencontre, afin de voir comment la crise de la COVID-19 les a obligés à faire les choses autrement.
Retour en mars
Le 13 mars 2020, l’état d’urgence sanitaire est déclaré au Québec et une série de mesures visant à freiner la propagation de la COVID-19 a été mise en place dans les jours suivants. La fermeture des commerces entre en vigueur le 22 mars 2020, obligeant ainsi les commerçants à s’adapter rapidement et à faire preuve de beaucoup de créativité, afin de rester à flot.
Dans un premier temps, nous nous sommes entretenus avec Paula Cloutier, assistante-gérante chez Madame Pickwick, qui a pignon sur rue sur la Wellington Nord. Elle nous informe que lors de la fermeture des commerces physiques, le chiffre d’affaires a chuté aussi bas que 40 % de ses revenus, par rapport à la même période l’an dernier. En effet, la boutique – qui a été fondée en 1999 par son propriétaire, M. David Vineberg – ce spécialiste dans la vente de matériel d’art. Or, les artistes, qui représentent une bonne partie de la clientèle, ont durement écopé du ralentissement économique : « Quand tu perds ton travail, c’est sûr que tu vas pas t’acheter des oeuvres, donc nos artistes perdent des contrats et ça impacte nos affaires », se désole Madame Cloutier. L’établissement comporte aussi une galerie d’art, ainsi qu’un café et espace de coworking, le Monsieur Pickwick, qu’ils ont aussi dû fermer. Offrant déjà un service de commandes téléphoniques, ils ont pu subsister grâce à leur clientèle habituelle, le temps de créer un site web transactionnel permettant de répondre à la demande de ceux et celles qui ont découvert l’art comme hobby de quarantaine. Étant graphiste de formation, Mme Cloutier a au moins pu sauver le salaire d’un graphiste en assurant elle-même ces fonctions. Puis, autre défi, il a fallu développer une stratégie de livraison des commandes, pour les personnes ne pouvant pas se déplacer pour chercher la leur en magasin. L’assistante-gérante rapporte avec amusement et fierté que « à Sherbrooke, c’est nos employé.e.s qui livrent directement à la porte des clients ! »
Le coût des envois postaux
À l’approche des fêtes, le centre de commandes Wiptec à Sherbrooke, qui s’occupe de la préparation et de l’envoi de colis partout au Canada et aux États-Unis, roule à plein régime. D’après un reportage de La Tribune, l’entreprise est en constante recherche de personnel et prévoit d’ouvrir un nouveau centre à Longueuil, pour suffire à la demande générée par les achats en ligne. Si la situation fait le bonheur des distributeurs, le son de cloche n’est toutefois pas le même du côté des petits commerces et de Poste Canada.
Chez Savon des Cantons, la proportion d’achats passés en ligne a explosé et les frais de poste aussi. « Nos frais de livraison ont triplé, depuis le début de la pandémie », d’après Monsieur Grimon. En effet, pour rester compétitifs, l’entreprise a choisi d’abaisser le montant minimum d’achats requis pour offrir la livraison gratuite, espérant que les ventes en ligne soient suffisantes pour que le coût à absorber vaille la peine. Par ailleurs, M. Grimon indique que les ventes en ligne ont augmenté de 283 % par rapport à l’année dernière, et qu’au Black Friday de cette année, ce sont 900 colis qu’il a fallu poster, contre 250 colis l’an dernier. « Poste Canada doit venir deux fois par jour, tellement c’est du gros volume ! » Il se considère toutefois chanceux de produire lui-même les articles qu’il vend, car il peut plus facilement choisir de faire un profit moindre pour amortir les coûts de livraison. Il soulève que les commerces de détail qui agissent à titre de distributeurs doivent avoir plus de difficulté à absorber ces coûts additionnels, ayant une marge de profit moindre sur chacune des ventes réalisées.
Pour le Madame Pickwick, c’est d’ailleurs le même problème qu’il a fallu surmonter. Mme Cloutier explique qu’étant un petit commerce qui vend du matériel d’art, il détient un moins grand pouvoir d’achat que les grandes surfaces pour pouvoir s’approvisionner au prix du gros. Cela veut dire que pour demeurer compétitifs, ils faisaient déjà moins de profit sur les ventes que de plus gros magasins qui pouvaient acheter de plus grandes quantités auprès des fournisseurs. Avec la pandémie, le coût des livraisons est rapidement devenu un enjeu pour eux. Cela a d’ailleurs motivé certains choix : « c’est vraiment plus rentable de livrer nous-même à Sherbrooke que d’utiliser un service de livraison ou Poste Canada ». Toutefois, pour les livraisons ailleurs qu’à Sherbrooke, le magasin a dû se tourner vers Purolator (propriété de Poste Canada à 91 %) et se résigner à ce que les frais de livraison soient à la charge du client. « Ça peut monter jusqu’à 10-15 $ en frais pour le client. Ça nous rend moins compétitifs que d’autres entreprises qui offrent la livraison gratuite, mais sans ça, ça devient vraiment difficile pour nous de conserver une marge de profit qui soit suffisante », se désole-t-elle.
Même chez Poste Canada, la situation est difficile ! En effet, avec la diminution de l’envoi de lettres, de factures et de publicités par la poste, les revenus de l’entreprise sont à la baisse. D’après leur dernier communiqué et rapport financier, le troisième trimestre de 2020 se conclut avec 265 millions de dollars en pertes. La livraison de colis pose un enjeu, car elle ne permet pas encore de générer assez de profits pour compenser la diminution des envois postaux et les mesures prises pour la COVID-19. En effet, les colis posent le défi de nécessiter plus de place dans les immeubles et les véhicules et de prendre plus de temps de livraison pour les facteurs. Cela nécessite des investissements dans les infrastructures, qui doivent s’adapter.
Ok… Mais on magasine comment ?
À l’approche des fêtes, Poste Canada suggère d’effectuer ses achats le plus tôt possible, comme il est anticipé que la livraison de colis sera plus grande que les autres années, entraînant des délais supplémentaires. Par contre, quand on questionne les commerçants, on se rend compte qu’il existe d’autres alternatives. De son côté, Mme Cloutier encourage les clients de son commerce à effectuer leurs commandes par téléphone ou en ligne, puis de venir en faire la cueillette en magasin. Cela permet de respecter les consignes sanitaires, tout en évitant les frais de poste ! « Pour un service plus personnalisé, c’est sûr qu’on préfère les commandes par téléphone parce qu’on peut vous conseiller comme en magasin et aussi offrir des produits qui ne sont pas encore en ligne, de même que des offres spéciales ! On le fait depuis que la boutique existe, donc c’est sûr qu’on est rendus avec une certaine expertise là-dedans ! »
Pour M. Grimon, la réponse est plus nuancée, mais va dans le même sens. « Avec les commandes en ligne, c’est sûr que ça me permet de vendre en tout temps, comme on est ouverts que quatre jours par semaine et qu’on est loin. Puis, c’est des frais auxquels on a pensé, donc on compose avec ! » Toutefois, il indique aussi une légère préférence pour les cueillettes en magasin, avec le respect des consignes sanitaires.
Ainsi, il semblerait que les cueillettes en magasin soient la meilleure façon d’encourager les entreprises locales, ainsi que d’alléger les services de poste qui croulent actuellement sous la demande.
Pour en savoir plus :
- Site web du Madame Pickwick : https://madamepickwick.ca
- Site web de Savon des Cantons : https://savondescantons.com/fr
- Ligne du temps de l’INSPQ sur l’évolution de la COVID-19 au Québec : https://mobile.inspq.qc.ca/covid-19/donnees/ligne-dutemps
- Rapport financier de Poste Canada pour le troisième trimestre de 2020 :
https://www.canadapost.ca/scp/doc/fr/anotresujet/rapportsfinanciers/2020_rapport_T3_fr.PDF
- L’article de La Tribune sur Wiptec : https://www.latribune.ca/affaires/toujours-plus-de-commandes-chez-wiptec-6ac-66c47a353ee184335635f-8fb7bd7a
http://www.entreelibre.info/2020/12/16/les-colis-les-colis-cest-pas-une-raison-pour-se-faire-mal/