Le cinéaste trifluvien Renaud De Repentigny. Photo : Joannie Lafrenière

La cuisine traditionnelle mauricienne : avec ou sans ketchup

Alex Dorval, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, décembre 2020

En faisant de la cuisine traditionnelle mauricienne le sujet de son premier long-métrage, le cinéaste Renaud De Repentigny réalise un rêve de longue date, au croisement de deux métiers et de deux passions.

« Ça vient d’une façon naturelle, de par mon passé, mon éducation, le milieu dans lequel j’ai grandi. D’une mère qui œuvre dans le communautaire et d’un père cuisinier, je viens d’une famille très engagée. J’ai rapidement développé une passion pour l’identité et le culturel. Je suis attaché à la région. J’ai aussi travaillé dans la restauration longtemps. », nous confie l’artiste trifluvien.

 

Docu de cuisine: un genre à québéciser

Le cinéaste se dit fortement influencé par les grands classiques du cinéma culinaire français et international tels que Le Festin de Babette, L’Aile ou la Cuisse, Chère Martha, Les Glaneurs et la Glaneuse, Diner Rush et Tampopo. « Ce sont des films qui ont nourri mon imaginaire », mentionne celui qui aimerait voir ce genre cinématographique gagner en popularité au Québec. Il voue d’ailleurs un culte personnel au film Au Chic Resto-Pop (1990) de Tahani Rached, dans lequel il voit une sorte de classique québécois du documentaire culinaire. « J’aime aussi les documentaristes qui réussissent à créer des liens très solides avec leurs sujets et les gens qu’ils rencontrent. Le cinéma direct de Perreault et le cinéma trad de Serge Giguère, c’est quelque chose qui m’a rentré dedans très jeune », ajoute le réalisateur.

Il nous confie s’intéresser beaucoup moins à l’image québécoise actuelle du Chef entrepreneur ou de l’agriculteur vedette, y percevant une démarche essentiellement marketing et romantisée de la cuisine. « La tradition passe généralement moins par la restauration, mais plus par les fêtes et activités de famille. », croit-il « sauf quelques initiatives inspirantes ». Le Chef-cinéaste a d’ailleurs signé une mini-série web sur l’histoire du célèbre restaurant Le Grec de Baie-Jolie, ainsi que des vidéos promotionnels de l’événement régional MYCO : Rendez-vous de la gastronomie forestière.

 

Quelque chose d’une œuvre d’art

Pour ce qui est de son intérêt spécifique pour le patrimoine culinaire de la région, le réalisateur fait remonter ses origines à la passion qu’il voue aux livres de recettes, dont sa bibliothèque est remplie à ras bord. « La prémisse du film vient d’une passion pour les livres de cuisine des associations de villages et des mères de famille qui inventaient toutes sortes de recettes avec peu d’ingrédients pour nourrir toute une famille, tout un village. Ce sont des livres que je trouve super beaux et qui ont quelque chose d’une œuvre d’art. », relève le cinéaste.

Le cinéaste collabore d’ailleurs pour son film avec Suzie Bergeron, artiste trifluvienne en animation, afin d’intégrer au documentaire une signature esthétique évoquant celles des livres de recettes de sa bibliothèque.

Il voit dans le travail des auteurs et autrices de ces ouvrages culinaires une forme de devoir de mémoire. « L’idée a vraiment pris racine au moment où je suis tombé sur le livre La cuisine traditionnelle de la Mauricie de Micheline Mongrain. C’est une femme qui a voyagé à travers la région dans les années 80 pour cuisiner avec des gens et conserver leurs recettes. Elle en a fait un devoir de collecte, comme les gens font en chanson par exemple. », rapporte le cinéaste faisant référence au mouvement de La Bonne Chanson dans les années 30, dont l’abbé Gadbois fut la figure de proue.

 

De la recette au geste

Bien qu’il ne souhaite pas limiter sa pratique cinématographique à la forme documentaire, Renaud De Repentigny y voit le médium par excellence pour « collecter » les souvenirs et ainsi préserver les traditions. « Le documentaire c’est un outil pour aller à la rencontre des gens. On a tous une histoire, une recette à partager, et s’intéresser à la tradition c’est s’attarder au geste, comme apprendre à jouer d’un instrument de musique ou à cuisiner une recette. », fait valoir le cinéaste.

« Quand on lit un vieux livre de recettes, on n’a aucune idée de comment la faire. Il nous manque le geste. Et c’est là que la caméra devient intéressante : pour collecter la tradition du geste. » – Renaud De Repentigny

Ce que les livres de recettes ne peuvent témoigner traceraient en quelque sorte la frontière entre notre patrimoine matériel et notre patrimoine vivant. En bon québécois : le geste, c’est ce qu’on apprend « su’l tas » !

Ainsi, le cinéaste voit dans la cuisine traditionnelle, l’expression d’une transmission : « Mon bouilli de légumes qui vient de mon arrière-grand-mère, je l’ai cuisiné récemment avec ma mère et nos amis tunisiens et on a ajouté de la semoule lorsqu’on l’a fait et j’y ajoute aussi un jambon salé en honneur à des amis gaspésiens qui font comme ça. Ça se métisse la cuisine traditionnelle. La tradition c’est ce qui reste du moment partagé. »

 

Avec ou sans ketchup

« Ma mère mange une fricassée de baloney. Je trouve pas ça bon (SIC), mais elle, elle aime ça parce que ça lui rappelle des bons souvenirs. Que tu le manges avec ou sans ketchup, c’est le souvenir qui te rattache à une recette qui en fait une tradition et une partie de qui tu es. »

En parcourant la région caméra à l’épaule, Renaud De Repentigny cherche à capter l’essentiel du caractère identitaire qui persiste encore aujourd’hui dans les gestes et mémoires des habitant.e.s.

« Ce que je souhaite faire c’est remonter les cours d’eau, ce qui est une façon naturelle de raconter notre histoire. Manger c’est un besoin primaire et ça nous a menés à occuper le territoire d’une certaine façon. », ajoute-t-il énumérant au passage diverses traditions qu’il souhaite commémorer :

 

  •     la cuisine des poulamons de la rivière Des Chenaux
  •     la cuisine forestière des camps de bucherons
  •     le leg des Ursulines de Trois-Rivières
  •     la cuisine ouvrière des quartiers autour des shops de Shawinigan et Trois-Rivières
  •     la cuisine atikamekw et les cuisines des autochtones du territoire
  •     les autres cuisines des immigrants du 19e et 20e siècles

 

« Au départ ce projet là ça vient d’un besoin de m’enraciner dans le territoire ! », exprime le cinéaste.

 

Faire un film au temps de la Covid

Les mesures sanitaires de distanciation physique apportent un lot de défis, mais le cinéaste est confiant. Déjà, on l’a rassuré que son financement de la part du Conseil des Arts et des Lettres du Québec (CALQ) n’est pas en jeu et qu’il pourra apporter les ajustements nécessaires à son échéancier.

 

L’artiste semble optimiste avant tout :

« Faut pas tu forces un bouillon, faut tu le laisses réduire. Face à la crise, j’ai baissé le rond pis j’ai mis le film sur la mijoteuse. Je prends du recul, je vais à la pêche et je rencontre des gens à qui je parle de mon film. Il y a des trucs extérieurs que je peux faire tout de même. Mais l’entrevue et le contact très proche où je suis dans la cuisine d’une personne aînée, c’est moins possible présentement. »

Alors qu’il était prévu pour l’automne 2021, Renaud De Repentigny estime être en mesure de sortir son film quelque part en 2022. Il a d’ailleurs une vision bien claire de la scène finale de son documentaire :

« Ce film-là, je le vois finir sur un grand banquet d’Astérix rassembleur, où toutes les communautés de la Mauricie se retrouvent autour d’une table, partagent la nourriture et boivent ensemble. C’est la scène que j’ai en tête. », image le cinéaste.

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