Pierre Hébert, Le Haut-Saint-François, Cookshire-Eaton, le 11 novembre 2020
Âgé de 83 ans, comptant plus de 63 ans d’enseignement et de pratique derrière sa ceinture noire, le judoka Robert Chaussé, de Johnville, dans le secteur Cookshire-Eaton, aurait bien aimé continuer à transmettre son savoir. Cependant, le contexte de pandémie l’a contraint en mars dernier à remiser son judogi pour une retraite bien méritée. « Je voulais finir mon année, mais Judo Québec nous a demandé de tout arrêter.
À l’âge que j’ai, si j’attrape ça, c’est fini », de soupirer M. Chaussé. Assis à discuter à la table, on sent bien que l’homme était prêt à continuer. « Malgré de petits problèmes respiratoires, je suis encore en forme physiquement », lance-t-il en se redressant sur sa chaise. Toutefois, il semble avoir accepté l’inévitable. « Je me suis fait à l’idée, c’est le temps d’arrêter. »
Sa conjointe, Denise, qui a appuyé son époux tout au long des années, témoigne de l’engouement qu’il avait pour ce sport. « L’enseignement, pour lui, c’est une passion. Il était tolérant avec les jeunes, capable de rire, s’amuser avec les autres. C’était comme un loisir pour lui. Il était doux et sévère quand c’était le temps », exprime-t-elle tout en regardant son conjoint. « J’ai fait ça pour le plaisir. Je leur explique et ils comprennent », d’ajouter tout doucement M. Chaussé.
Du haut de ses cinq pieds et quelques pouces, avec un poids de 120 livres, l’homme est peu imposant physiquement. Par contre, son bagage, son savoir, son dévouement à son sport et toutes les reconnaissances qui l’accompagnent sont imposants et impressionnants. Mme Chaussé a une boîte pleine de découpures de presse, de plaques témoignant la reconnaissance de ce qu’il a accompli que ce soit sur la scène locale, régionale et même provinciale.
M. Chaussé s’est révélé être un véritable apôtre de son sport. Il a littéralement porté cette discipline à bout de bras. Plusieurs plaques, que ce soit celle de pionnier fondateur en région ou la plaque témoignant de son entrée à titre de membre du Temple de la renommée du judo québécois sur laquelle est inscrit « En reconnaissance de votre immense contribution au développement du judo de la zone Centre du Québec/ Estrie » démontrent l’apport important de M. Chaussé pour ce sport.
Jeune homme, il a découvert le judo un peu par hasard à l’âge de 19 ans. « J’avais des copains qui me montraient à faire de la lutte. J’étais trop petit pour lutter, ça fait que j’aimais pas ça. Après, j’avais mon frère qui voulait faire de la boxe. Il se servait de moi pour s’entraîner, mais j’aimais pas la boxe parce que j’avais des coups de poing dans la face. À un moment donné, on a entendu parler qu’il se donnait du judo à Sherbrooke. On est allé voir ça, moi pis mon frère, on a essayé et puis on a aimé ça. On a commencé avec ça. » Trois ans ont suffi à M. Chaussé pour acquérir sa ceinture noire.
Après quelques années, M. Chaussé et des copains décident, en 1964, de fonder leur club et donner des cours de judo à l’école Perpétuel Secours à Sherbrooke. Issue d’une fédération française, l’école obtient, en 1967, son accréditation au sein de l’Association québécoise de judo, aujourd’hui Judo Québec.
Cette transition ne s’est pas faite sans effort. « Là, c’était toute une autre affaire. Il a fallu apprendre les techniques avec les noms japonais. » Passionné, Robert Chaussé se consacrait entièrement à son sport. À l’époque, il donnait des cours en soirée et travaillait de nuit dans une manufacture à Sherbrooke. Ce train d’enfer, l’athlète l’a maintenu pendant plusieurs années. « Il donnait des cours 5 à 6 jours en plus des compétitions les fins de semaine », d’exprimer Mme Chaussé. Elle raconte un jour « avec l’arrivée des enfants, j’aurais aimé qu’il soit un peu plus à la maison le soir. Il m’avait dit, demande moi n’importe quoi, mais demande-moi pas ça. Mon judo, j’y tiens trop. Quand j’ai vu ça, j’ai pris une petite gardienne et j’ai décidé de m’embarquer, un peu avec lui. J’ai parti un groupe de filles et Robert donnait le cours. »
Installé à Sherbrooke, le hasard de la vie a amené le couple à Johnville. « Mon beau-père avait bâti un chalet à Martinville. Un été, j’ai arrêté au dépanneur et la dame m’a demandé si je connaissais pas quelqu’un qui serait intéressé à acheter le dépanneur. J’ai dit que j’en connaissais pas pour l’instant. » Le couple fait l’acquisition du commerce en 1972 et vient s’installer à Johnville. Ils garderont le dépanneur pendant 23 ans jusqu’au moment de le vendre en 1995. Robert
Chaussé donnait toujours ses cours de judo à Sherbrooke. Au cours de cette année, une maladie attaquant ses yeux fait en sorte qu’il cesse de conduire. Sa conjointe poursuit son implication et lui sert de chauffeur. En 1997, elle entreprend des démarches auprès de la municipalité pour vérifier la possibilité d’obtenir un endroit afin que son conjoint puisse y donner des cours. Ça fonctionne, elle obtient un local au sous-sol de l’ancienne salle des loisirs et les cours débutent en janvier 1998. Elle veille aux inscriptions et toutes les affaires courantes afin de permettre à son conjoint de se concentrer sur les cours.
M. Chaussé en a vu défiler des jeunes au cours de sa carrière que ce soit à Rock Forest, Sherbrooke, Compton , Coaticook, Cookshire et Johnville. Le judo, explique-t-il, est un sport de combat, mais avec contrôle. Il veillait scrupuleusement à ce que les élèves pratiquent cette discipline sans se blesser ou se faire mal. « Si quelqu’un voulait faire mal à un autre, je lui expliquais et s’il ne comprenait pas, je l’expulsais.
C’est arrivé une seule fois », précise-t-il. L’athlète enseignait aux jeunes de sept ans et plus. Peu importe l’âge, M. Chaussé éprouvait un grand plaisir à transmettre ses connaissances.
D’ailleurs, son enseignement semble avoir été efficace puisque plusieurs de ses élèves se sont démarqués dans le cadre de compétitions au fil des années. Fier de ses participants, l’homme demeure modeste malgré tout. Par contre, un de ses grands faits d’armes aura été d’organiser le championnat canadien de judo. L’événement, qui s’est déroulé au Cégep de Sherbrooke en 1967, aura attiré plusieurs athlètes des différentes provinces au pays. Avec des boîtes pleines de découpures de presse, de plaques, de photos, l’homme de 83 ans peut désormais savourer une retraite bien méritée.