Danielle Leclerc, Le Reflet du canton de Lingwick, novembre 2020
Avez-vous eu vent des négociations pour le renouvellement des conventions collectives du secteur public? En conférence de presse, le mardi 20 octobre, M. François Legault, chef du parti au pouvoir de la CAQ (Coalition avenir Québec), a déclaré qu’il reconnaissait que les employés du réseau de la santé sont « à bout de souffle ». Il s’est dit « prêt à à peu près tout faire pour réduire la surcharge de travail ». Cependant, il a précisé qu’il était hors de question de leur accorder des hausses de salaire au-delà de l’inflation (2 %). Mais quel est cet « à peu près »?
En tant que retraitée du système de santé ayant goûté aux impacts sur le terrain des ordres improvisés et souvent contradictoires des MM. Legault et Arruda, je me suis sentie tellement offensée en lisant ces mots dans le journal1 ! Quelle belle stratégie de rétention et d’attraction du personnel ! On vous demande de faire des efforts au péril de votre santé et de celle de vos proches et en contrepartie, on vous demande de… continuer à faire des efforts. Pas de récompense pour les anges gardiens, pour ces « essentiels » dont M. Legault soulignait l’importance capitale en mars dernier. Il y a bien eu des primes insignifiantes pour certains employés travaillant à temps plein en zone rouge ou en CHSLD (centre d’hébergement et de soins de longue durée), mais pas pour tous les titres d’emplois. Bien piètre encouragement. On ne doit pas s’étonner de l’exode actuel des employés : détresse psychologique, maladie, changement de carrière, retraite anticipée. On manque de personnel partout dans le réseau public. Le secteur de l’éducation vit le même problème, le manque de professeurs est criant.
Les propos tenus par M. Legault ne rendent pas justice au travail du personnel qui tient à bout de bras notre système de santé depuis des années et ce, bien avant la pandémie, subissant année après année les coupures sous différents gouvernements. Il y a une limite à fonctionner avec toujours moins de ressources. On a vu ce que ça a donné quand est arrivée la pandémie : un système déjà fragilisé que le gouvernement a été incapable de soutenir face à la crise. Si les services de maintien à domicile n’avaient pas été traités comme le parent pauvre du système de santé pendant tant d’années, cela aurait évité bien des morts.
M. Legault dit comprendre la fatigue et la frustration des infirmières. Il reconnaît avoir promis l’abolition du temps supplémentaire obligatoire, mais dit que nous sommes dans une situation spéciale. Alors oui, justement, nous sommes dans une situation spéciale ! Pourquoi ne pas agir de façon à attirer du personnel? Pas avec un arrêté ministériel qui sabre dans les droits des travailleurs (notez que le personnel de ces secteurs d’activité est à 80 % féminin), en abolissant les congés et les vacances et en les obligeant à faire du temps supplémentaire ! Mais en améliorant les conditions de travail. Et cela se réalise à long terme.
M. Legault ne veut pas améliorer les conditions de vie de ses employés et limite les hausses salariales à 2 %, disant qu’il faut respecter la capacité de payer des Québécois. Mais quand le gouvernement fédéral a décidé d’imposer les primes données aux députés de son gouvernement, M. Legault n’a pas hésité à faire voter des augmentations à leur indemnité supplémentaire de fonction allant parfois jusqu’à 20 %2. Ces primes s’ajoutent au salaire de base des députés, qui reçoivent de 0% à 105 % de leur salaire en prime de fonction supplémentaire.
Le salaire de base étant de 95 704 $ par année, par exemple, un ministre peut recevoir 75 % de plus, pour un total de 167 482 $. Cela, sans compter les allocations annuelles de dépenses, de présence, de transition et de déplacement.
On sait que le travail de député en est un de responsabilité, parfois très exigeant et que l’importante rémunération se veut un moyen d’attirer et de maintenir des candidats, de reconnaître l’importance du poste occupé. Ne pourrions-nous pas appliquer le même principe de bonification du salaire aux employés du secteur public?
Pour ce qui est du plan prévu pour améliorer la surcharge de travail, la réalité dans le milieu démontre que le gouvernement caquiste ne peut pas faire grand-chose. L’opération 10 000, promettant en juin dernier l’arrivée de nouveaux préposés aux bénéficiaires dans le réseau, ne connaît pas le succès escompté.
Les gens sortent désillusionnés de cette formation très écourtée et le milieu du travail ne tient pas non plus ses promesses (salaire moindre que celui promis, temps partiel et non temps plein). Le manque de personnel touche plusieurs professions, pas seulement les préposés; les cadres engagés pour la gestion du personnel sont souvent inexpérimentés et parachutés dans des secteurs dont ils ne connaissent pratiquement pas les rouages. Rien pour apporter du soutien aux équipes en place.
Il est difficile de croire en cette montée de la popularité du chef de parti dans la population : 76 %, du jamais vu sur la scène politique québécoise. On se demande qui a été sondé, certainement pas les employés du secteur public, en santé ou en éducation. Nous sommes piégés dans un cercle vicieux : le manque de personnel crée des conditions de travail extrêmement difficiles, poussant le réseau à rechercher du personnel supplémentaire, mais ces conditions de travail provoquent le départ des employés et n’attirent pas de sang nouveau. À quand une réelle amélioration? Pourquoi laisser les négociations du secteur public traîner en longueur? Le gouvernement Legault a des décisions à prendre. Face au contexte actuel de pandémie, nous devrions pouvoir nous attendre à un certain respect de la part de notre premier ministre envers ses « anges gardiens ». Car plus que de salaire, il est ici question d’attitude.
Source :
1Tommy Chouinard et Henri Ouellette-Vézina, La Presse, 21 octobre 2020.
2Marco Bélair-Cirino, Le Devoir, 10 décembre 2018.