Carol Castro : La résilience d’une terre en friche

Lise Millette, L’Indice bohémien, Abitibi-Témiscamingue, novembre 2020

Ce n’est qu’en 1898 que l’Abitibi-Témiscamingue a été rattachée au reste du Québec, apprend-on dans la thèse de Carol Castro intitulée La résilience chez les familles immigrantes en région éloignée, déposée en juillet dernier. « Cette thèse représente l’aboutissement de mon parcours à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Il s’agit également d’un des défis les plus importants que j’ai eus à surmonter dans ma vie de femme immigrante », écrit-elle en introduction de sa présentation.

Partie de Talca, dans la région du Maule au Chili, c’est dans la ville de Québec qu’elle a établi son premier pied à terre, avant de migrer vers le nord, à Rouyn-Noranda. À son arrivée au Québec, son premier souvenir demeure aussi vif que frais… « Je suis arrivée en hiver, le 21 janvier 2004 avec -25 degrés! » mentionne-t-elle. « Quand tu choisis de venir t’installer au Canada, tu vis différentes émotions. C’est un deuil qu’on doit faire parce qu’on laisse tout derrière ».

Carol Castro ne parle pas uniquement d’une expérience d’immigration, mais bien d’un processus. Un parcours qui s’étale sur le temps, le temps de prendre racine dans une nouvelle terre d’accueil.

Historiquement, l’Abitibi-Témiscamingue a été le terroir des différentes vagues migratoires, mais très vite avec des enjeux bien précis, comme l’explique Carol Castro, qui est professeure en travail social à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. « Nous assistons principalement à une immigration qualifiante en Abitibi-Témiscamingue. On voit peu d’immigrants qui sont des réfugiés ou qui ont été parrainés dans la région. Ce sont surtout des gens qui arrivent ici en lien avec l’emploi », souligne Mme Castro.

Si ce portrait est vrai en 2020, il l’a aussi été dans les années 1925-1940, moment où 1500 migrants de l’Europe de l’Est sont venus s’établir dans la région pour travailler dans les mines, notamment. Le scénario s’est répété par la suite dans une deuxième vague d’immigration internationale. Des étrangers qui ont fui la guerre et qui sont venus combler une importante pénurie de main-d’œuvre.

 

REBONDIR, S’OUVRIR, S’INTÉGRER

Pour rédiger sa thèse sur la résilience des personnes immigrantes, Carol Castro s’est intéressée au cas type de l’Abitibi-Témiscamingue. Afin de livrer un portrait juste, elle affirme avoir pris soin de se distancier quelque peu. « Je me devais d’être le plus neutre possible. J’ai rencontré en tout une quarantaine de personnes, issues de 28 familles et en provenance de 15 pays », soutient-elle.

Même si son étude porte sur les entrevues réalisées auprès de toutes ces personnes immigrantes, Carol Castro reconnaît que certaines confidences et expériences ont eu une résonnance chez elle. « Entendre que quand on est immigrant, il faut toujours travailler un peu plus fort, donner plus que le 100 % et que c’est souvent nous qui devons-nous ouvrir parce que l’aide n’arrive pas, c’est quelque chose que je reconnais », confie-t-elle.

Le processus d’immigration est constitué aussi de différentes phases et la résilience s’installe tranquillement, en raison de multiples facteurs internes et externes. L’environnement, le milieu, la barrière de la langue, le réseau social que l’on doit reconstruire sont autant de variables déterminantes. « Les rapports familiaux, par exemple, sont très importants. On y puise une stabilité. C’est un moment où il faut être unis, avec les enfants, entre autres, lorsqu’il y en a, c’est aussi transmettre des valeurs pendant la période d’adaptation où l’on peut ressentir beaucoup d’isolement », illustre Carol Castro. Plus une cellule est soudée, plus elle sera résiliente dans son processus d’ancrage.

 

ADOPTER L’ABITIBI-TÉMISCAMINGUE

La thèse de Carol Castro pointe également vers une perception quelque peu négative de la région vue de l’extérieur. Les familles rencontrées ont traduit la région comme un lieu « très positif, facilitant l’intégration des familles et renforçant leur décision d’y rester ». Vivre l’expérience de la région a permis à ces personnes « d’atténuer les images négatives associées au contexte géographique de l’Abitibi-Témiscamingue », peut-on lire dans la conclusion.

Quant à savoir ce qu’il serait possible de faire de plus ou de mieux pour améliorer la résilience des personnes immigrantes, Carol Castro dit constater, à la lumière de ses recherches, « le besoin de mettre en place un réseau de soutien externe pour amener les familles à consulter les ressources disponibles » et de faire en sorte de mieux coordonner les outils offerts par les milieux communautaires, municipaux et du réseau de la santé et des services sociaux.

 

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