La tête dans le sable

Michael-Henri Lambert, La Vie d’ici, Shipshaw, octobre 2020

Les bleuets ça n’existent pas, ça n’a jamais existé! Les producteurs qui cultivent ces prétendus « bleuets » travaillent en réalité pour un groupe secret international de multimilliardaires satanistes dirigé par Bill Gates. D’ailleurs Bill Gates était auparavant un cultivateur de bleuets, c’est eux qui l’ont mis là. L’objectif de ce groupe est de forcer toute la population à avaler des puces électroniques en mangeant des bleuets et contrôler le système digestif de toute l’humanité pour causer des brûlures d’estomac et ainsi contrôler notre alimentation et causer des cancer chez les individus qui doivent être éliminés.

Faîtes vos recherches!

Mon premier paragraphe vous semble délirant? Tant mieux, vous faîtes parti du 82% de la population canadienne qui n’adhère pas aux théories du complot.

Selon une étude menée par l’Université de Sherbrooke et publiée à la mi-septembre, près de 18% des Canadiens adhèrent aux théories du complot.

Et par « théories du complot », on ne parle pas de ceux qui croient que le but d’Alain Côté était bon, on parle de ceux qui croient que le coronavirus a été créé en laboratoire pour que, lorsque les gens se feront vacciner, une puce électronique soit implantée dans leur corps pour les contrôler.

Si j’en fais une chronique aujourd’hui, c’est que je suis préoccupé. J’ai peur certains jours.

Ça m’angoisse de lire sur les réseaux sociaux les commentaires virulents et complètement hallucinés de ceux qui croient à un complot mondial, que le gouvernement a créé un virus pour jeter la démocratie aux poubelles et installer un état policier. Ben voyons don’!

Le gouvernement a de la misère à demander aux gens de se laver les mains avant d’aller chez Maxi et on devrait craindre un état totalitaire? Pas sûr.

Et de l’autre côté, si quelqu’un croit dur comme fer que nos libertés sont sur le point d’être retirées et que le mieux que cet individu trouve à faire est d’aller manifester devant le parlement pour le droit de ne pas porter un masque.

Et c’est aussi cela qui me fait peur : de quoi est capable quelqu’un convaincu d’être sur le point de perdre ses libertés?

Certaines vérités sont si évidentes qu’il est plus intéressant de se mettre la tête dans la sable bien profondément que de regarder la vérité en face.

La soif s’étanche en buvant de l’eau et l’ignorance se surmonte en s’informant.

La pandémie, en attisant les passions et en radicalisant une partie de la population, met en lumière des problèmes de société qui perdure. Une partie de la population n’a pas accès à l’Information, avec un I majuscule. Celle qui s’enseigne dans les écoles, qui se diffuse à la radio, se dit aux chaînes de télévision publiques et s’écrit dans les livres et les journaux.

Selon la Fondation Alphabétisation, plus de 53% des Québécois sont soient analphabètes ou éprouvent de graves difficultés de lecture. Loin de moi l’idée de penser que tous ceux qui ont de la difficulté à lire sont complotistes, mais notons que ces chiffres représentent une part importante de la population pour qui il peut être difficile de s’informer efficacement.

Précisons que je pourrais vous nommer plusieurs « complotistes » relativement bien articulés, mais je ne le ferai pas pour ne pas leur donner plus de visibilité qu’ils en méritent.

Permettez-moi de revenir aux faits : on ne parle pas d’un gouvernement qui demande de faire deux heures de méditation transcendantale chaque jour, mais seulement de porter un masque dans les lieux publics, de se laver les mains et de tousser dans son coude… parce qu’il y a une pandémie mondiale.

Mais quand même, que faire avec les complotistes? Il semblerait, à l’heure d’écrire ces lignes, que les manifestations contre les règles sanitaires n’aient pas menés à une augmentation des cas de COVID-19. Ces rassemblements narguent quand même tous ceux qui respectent volontiers les règles en place.

Ce n’est pas tellement compliqué d’arrêter ou de distribuer des amendes à ceux qui ne respectent pas les consignes, mais en punir quelques-uns risque d’en radicaliser une trôlée.

Dans l’immédiat, le choix à faire est entre le respect des consignes et la paix sociale, mais demain il faudra se demander comme société comment se fait-il que nos écoles forment des analphabètes?