Gilles Gagné, Graffici, Gaspésie, septembre 2020
Au cours des derniers mois, les Gaspésiens ont assisté à plusieurs épisodes de pollution de leurs plages alors que des visiteurs en manque d’hébergement les ont assaillies, les laissant parfois dans un état pitoyable.
Ordures, concentration incontrôlée de gens dans des milieux fragiles, excréments humains et animaux, feux allumés sans égard à l’indice d’inflammabilité, passage sur des terrains privés sans la moindre gêne et empiétement de la végétation protégeant les plages contre l’érosion constituent un échantillon sommaire des actions observées entre la fin de mai et septembre.
Les autorités municipales, régionales et nationales ont plaidé, parfois avec raison, l’impossibilité de prévoir une telle convergence vers la Gaspésie, qui s’est imposée dès le décloisonnement des régions le 18 mai comme le refuge préféré des citadins en mal d’espace et retenant leur souffle depuis la mi-mars.
Toutefois, cette convergence surprise, alors qu’on ne pouvait prévoir une saison touristique au Québec jusqu’à la mi-mai, aurait pu déboucher sur des ajustements rapides relativement mineurs en matière de mobilisation matérielle et de main-d’œuvre.
Comment se fait-il qu’autant de toilettes publiques soient restées fermées des semaines après les premiers débarquements massifs de touristes? N’y avait-il pas aussi moyen de déployer des toilettes chimiques en plusieurs endroits dépourvus de blocs sanitaires?
Il y a une constante incontournable dans l’humanité. Tout le monde mange, boit, urine et défèque. On n’en sort pas. Si beaucoup de gens viennent, il faut s’attendre à traiter, au sens propre et au sens figuré, ces réalités immuables.
Le post-mortem de l’automne nous permettra sans doute d’en apprendre davantage sur ce qui n’a pas été fait. Ce sera alors le moment pour la population locale de faire un examen des améliorations à apporter individuellement.
Oui, des touristes ont sali nos plages, nos abords de routes et certains de nos sentiers. Mais pouvons-nous vraiment, collectivement, leur donner des leçons de propreté ?
Quiconque marche régulièrement le long des plages remarque la présence de détritus avant d’avoir parcouru quelques centaines de mètres, quelle que soit la saison. Sacs et bouteilles de plastique, pneus, bouteilles de verre brisées ou pas, matériaux de construction, verres et tasses jetables des vendeurs de beignes, contenants de styromousse, agrès de pêche sportive ou commerciale sont autant de détritus visibles de janvier à décembre.
N’importe quel cycliste jetant un coup d’œil au fond des ravins et même aux accotements, à la fin d’avril ou d’octobre, donc avant et après le passage des touristes, verra des quantités saisissantes de déchets, surtout des canettes de bière ou de boissons gazeuses, de même que des contenants de boisson soi-disant énergisante.
Les routes forestières et les rivières ne sont pas en reste. On s’entend tous pour dire que c’est une minorité de chasseurs, de baigneurs, de canoteurs et de randonneurs qui laissent derrière eux leurs cochonneries, mais c’est la majorité des usagers, dont des touristes, qui les voient.
Ceux qui sensibilisent leurs usagers depuis des années, notamment les firmes et organismes évoluant le long de la rivière Bonaventure s’en tirent mieux parce qu’ils font de la sensibilisation depuis longtemps. Le progrès est donc possible.
Nous avons déploré le passage de véhicules de touristes sur nos dunes et bancs de sable, mais dans certains cas, lorsque les autorités ont bloqué l’accès à ces lieux fragiles, certains Gaspésiens se sont rebellés, revendiquant leur usage. Un milieu fragile demeure pourtant vulnérable pour tous, quelle que soit l’origine du conducteur de véhicule tout terrain ou de la camionnette.
Quel message envoie-t-on aux visiteurs si nous n’appliquons pas nous-mêmes des règles élémentaires de propreté et de protection de nos écosystèmes?
Ne serait-il pas temps que des nettoyages systématiques des plages et des lieux habités de la région soient effectués, qu’il s’agisse d’initiatives citoyennes ou municipales? Il est clair que ce sont essentiellement les mêmes personnes qui s’engagent répétitivement dans ce genre d’opérations, mais c’est ainsi qu’on démarre des courants populaires durables.
Il est facile de pester contre les touristes. Il y a néanmoins quelque chose de touchant à la vue de personnes arpentant les plages, ou les sentiers donnant accès sur nos grands espaces dégagés, ou nos forêts. Il est clair que la Gaspésie a joué un rôle majeur dans l’oxygénation du Québec après des mois de réclusion forcée.
Les Gaspésiens ont travaillé fort pour que la région devienne une destination majeure pour les autres Québécois et les visiteurs d’un peu partout sur la planète.
Ce qui s’est passé durant l’été n’est pas encore du « surtourisme » généralisé, ce phénomène par lequel un espace donné est envahi au point où il en devient dénaturé. C’était toutefois le cas en certains endroits, comme la rivière aux Émeraudes, Coin-duBanc ainsi qu’à Barachois, Douglastown et Haldimand, des lieux victimes de leur beauté, pourrait-on dire.
Comme la pandémie de COVID-19 risque de se perpétuer jusqu’à l’an prochain, sinon au-delà, il y a fort à parier que la Gaspésie constituera de nouveau un refuge pour les gens en mal d’espace, d’air pur, d’eau salée, de nature et de courtoisie.
Cette année, les instances touristiques régionales ont mis l’accent sur la nécessité de réserver un hébergement avant de venir en Gaspésie. Le message a été bien diffusé, mais quelques milliers de personnes ont opté pour le camping sauvage et ils feront sans doute de même en 2021. Il nous reste donc à préparer leur arrivée en ajoutant un message de salubrité à cette campagne de publicité, et à apprendre nous-mêmes à présenter une région impeccable, région qu’il sera encore plus gênant de souiller si nous donnons l’exemple.