L'artiste en action. Photo : Anne Marie Parent

L’audace de la jeunesse doublée d’un talent fou!

Anne-Marie Parent, Journaldesvoisins.com, Ahuntsic-Cartierville, septembre 2020

J’ai rendez-vous dans le secteur d’Ahuntsic-Cartierville que je connais le moins, au District Central. Marie-Chloé Duval m’attend dans son atelier de la rue Louvain Ouest, au bout d’un corridor d’un immeuble quelque peu défraîchi, un ancien entrepôt ou manufacture du quartier de la mode.

La jeune artiste a eu le coup de foudre pour ce grand local de 800 pieds carrés où elle a posé ses pénates en juin 2019 : toiles, chevalets, tables, pots de peinture, pinceaux et autres spatules. Originaire de Saint-Pascal-de-Kamouraska dans le Bas-Saint-Laurent, là où le fleuve se prend pour la mer et où les grands espaces se déroulent à l’infini, elle a vrai-ment craqué pour cet édifice pas cher pour la superficie louée, qui a « un côté urbain rough    », dit-elle, aux antipodes de son décor d’enfance. Elle aime l’effervescence du District qui est en développement – tout comme sa jeune carrière! – et la proximité du Marché Central où, secret d’artiste, elle s’approvisionne au magasin DeSerres, mais aussi chez Dollarama. Et quand une fringale la prend, le sympathique café Gen-tile n’est pas loin. Marie-Chloé s’aventure peu en dehors de son atelier, où elle se rend à vélo depuis son condo à Griffintown. Elle pousse à l’occasion sa monture au bout de la rue Berri jusqu’au boulevard Gouin. Elle s’exclame tout de go : «   Wow, c’est beau! Les maisons ancestrales, leurs jardins, le bord de l’eau… Être riche, j’achèterais une maison là! »

 

Parcours atypique

D’où vient cette peintre qui signe DUVAL et qui n’a pas encore 30 ans? Oui, du Bas-du-Fleuve, mais avec un parcours à rendre jaloux des adultes du double de son âge qui n’ont pas autant voyagé et… osé dans la vie.

Petite, elle était créative. « Je décorais mes agendas, j’adorais les boîtes de créativité (pour faire des colliers et autres bricolages), j’ai fait du théâtre d’impro et joué du piano, j’ai participé au symposium des arts pour enfants de Kamouraska… mais je voulais faire une carrière académique, devenir professeure d’université. » Elle n’a jamais pensé qu’être artiste était un métier!

Marie-Chloé vient donc étudier à l’Université de Montréal… en criminologie.  Après son bac, elle prend une année sabbatique : six mois en échange étudiant en Belgique, puis une semaine à Paris et deux semaines au Maroc.

« C’est là que j’ai ressenti une saturation de trop de culture : j’ai décidé à ce moment-là que je voulais faire de la coopération internationale, alors pour apprendre l’espagnol, je suis partie six mois au Pérou. »

À son retour, elle passe quelques mois chez ses parents, l’hiver. Pour se désennuyer, un peu par hasard, elle se met à peindre sur des bouts de bois avec des fonds de peintures à murs, dans le sous-sol aux allures de cave de la maison familiale.

À force d’essais et erreurs, le plaisir de créer se révèle à elle. Elle rentre à Montréal avec ses « cannes    » de peinture et replonge dans ses études, enchaînant la maîtrise en criminologie. Pendant la rédaction de son mémoire sur le populisme pénal, qu’elle fait chez son copain de l’époque à Chicago, elle se détend en maniant du pinceau. C’est clair pour tout le monde qu’elle a du talent et qu’elle devrait continuer dans cette voie.

 

Suivre sa voie

Pas évident à 25 ans de dévier de sa trajectoire « programmée ». Elle va toutefois suivre son instinct. « J’ai choisi de faire ce que j’ai envie de réaliser. Je suis moi à 100 % et je l’assume», affirme-t-elle. Elle retourne chez ses parents, son havre au bord du fleuve, où elle continue à se « mettre au monde » comme artiste.

Elle participe au Symposium d’arts de Kamouraska en 2016 où elle remporte des honneurs, dont le prix coup de cœur du public. L’exposition couverte par Radio-Canada la fait connaître. Elle commence à vendre ses œuvres. La voilà qui reprend le large : voyage de quatre mois, sur le pouce, en Patagonie!

Cette fois, c’est à Montréal qu’elle s’installe à son retour en 2017, sur le Plateau-Mont-Royal. La passion de l’art en autodidacte exige beaucoup de travail et un espace créatif à soi.

Marie-Chloé vit pendant deux ans dans un petit loft qui lui sert d’atelier, période entrecoupée par deux mois au Nunavik à aider à réduire la criminalité chez les Inuits en leur faisant faire de l’art et par un séjour d’un mois en Finlande en résidence d’artiste. Cet été, elle aurait dû faire une résidence en Grèce, mais la pandémie de COVID-19 l’a clouée à Montréal dans son atelier au District Central. En fait, elle se trouve physiquement à Ahuntsic, mais elle est en contact avec le monde entier, car elle a été sélectionnée parmi 19 artistes pour le projet de résidence d’artiste virtuelle RAV.19 monté par des associations algérienne et espagnole.

«Pour moi, l’art est énormément basé sur le partage. C’est très inspirant d’échanger avec d’autres artistes à l’international », dit-elle, emballée par ce projet virtuel qui pourrait se concrétiser par une exposition réelle à Paris.

Entre-temps, elle a d’autres dossiers sur le métier, comme trois expositions en solo en cours ou à venir à Saint-Jean-Port-Joli, Québec et Rivière-du-Loup, des incursions dans le domaine de l’écriture notamment dans le webzine La rumeur du loup et… un retour à l’université cet automne, à la faculté des beaux-arts de l’Université Concordia, à temps partiel. Son désir d’enseigner étant toujours présent, Marie-Chloé donne des cours d’art, des conférences dans les écoles et en entreprise ainsi que des ateliers de créativité quand l’occasion se présente. « J’encourage les gens à oser approcher la création, à avoir le goût de créer », raconte-t-elle.