Paul Shooner installé dans une pièce de la maison qui regorge de livres et de documents qu'il a lui-même colligés .

Bonjour Monsieur Shooner

Alain Dubois, L’annonceur, Pierreville, le 18 juin 2020

Voilà trente ans déjà que M.Paul Shooner aura pris sa retraite, et pourtant on peut l’apercevoir pratiquement tous les jours arpenter les rues du village. C’est pour garder ses jambes en formes comme il le dit si bien, car avec ses quatre-vingt-dix-sept printemps, ayant fêté son 97e le 2 mai dernier, on doit prendre soin de sa santé.

Et si Pierreville est un petit village comptant actuellement aux alentours de mille résidents, il y a bien peu de personnes au fil des ans qui n’auront pas connu ce personnage bien familier. Même pour ceux qui venaient dans le coin du temps où le village était un centre névralgique de la région regroupant plusieurs commerces et services, ou encore les villégiateurs qui ont des chalets dans les environs et même les passants qui se sont arrêtés et qui passent encore pour profiter d’une pause. Pourquoi me direz-vous?

Comme dans la plupart des villages, pratiquement tout le monde à son surnom et on peut se le crier à tue-tête d’un coin de rue à l’autre. Toutefois lorsqu’il est question de Paul Shooner, c’est un peu comme pour l’ex-premier ministre Jacques Parizeau, il nous semble inconcevable d’aborder cette personne sans cette formulation qu’est ‘Bonjour Monsieur Shooner’. Donc si vous êtes passé dans le coin ces dernières décennies et avez entendu ces mots, eh bien sachez que c’est assurément de lui qu’on parle ici. Par ailleurs, même s’il a connu et vu grandir la plupart des Pierrevilliens, les temps ont bien changé et plusieurs ont quitté le village tandis que des gens d’un peu partout viennent s’y installer et les nouveaux arrivants ont tout naturellement continué la tradition en le saluant poliment… ce qui l’amuse quand même un peu, car il lui arrive parfois de ne pas reconnaître tous ces nouveaux visages.

 

Jeunesse et études

Lorsqu’il se rappelle son enfance, il est né en 1923 donc tout juste après la dernière grande pandémie que fut la grippe espagnole, il se remémore toutes ces maisons habitées par des familles nombreuses et des lots qui étaient tous clôturés. Chaque famille cultivait un grand jardin, les poules se promenaient constamment dans les rues du village et il pouvait se promener là où il le voulait, carabine à plomb à l’épaule. Paradoxalement, aujourd’hui les clôtures ont pratiquement toutes disparu et il vaut mieux s’inviter avant de mettre les pieds sur une propriété privée, et avec la pandémie actuelle les jardins reviennent à la mode.

Il fit ses études classiques au Séminaire de Nicolet, entrecoupé par deux années à Berthierville pour y apprendre l’anglais et la comptabilité. Pourquoi? Parce que son père George avait déjà une bonne idée de ce qu’il voulait pour son second fils, soit de prendre la relève des affaires familiales, soit la tenue d’un magasin général au centre du village… qui faisait face à celui de la famille Laperrière.

À 18 ans, dès qu’il obtient son permis de conduire un véhicule automobile, il devient le chauffeur attitré de son père qui est un organisateur politique pour l’Union nationale. Comme on s’en souvient, ou plutôt qu’on en a déjà entendu parler, à cette époque le choix du parti était généralement constant dans les familles et de père en fils il n’y avait pas de surprises. Alors comme les deux magasins généraux se faisaient face sur la rue Georges, les clients bleus faisaient leurs emplettes du côté Shooner, les rouges eux se rendaient en face chez les Laperrière. Alors le pointage qui se faisait en préparation des élections, qu’elles soient fédérales, provinciales, municipales ou scolaires donnaient des résultats assez justes.

 

Député provincial à une époque de grands changements sociaux

C’était l’époque où lorsqu’il y avait un changement de gouvernement, c’était toute la population qui jouait à la chaise musicale avec les emplois. Pratiquement du jour au lendemain, quelqu’un perdait son emploi et était remplacé par une personne qui avait voté ‘du bon bord’.

Tout ça allait changer un beau jour, le 6 juin 1966 (le 6/6/66). À la suite du retrait du candidat Antonio Élie, comme il était déjà bien connu pour avoir fait le tour des paroisses du comté avec son père pendant de nombreuses années, on lui propose d’être candidat pour l’élection qu’il gagne de justesse contre le candidat libéral Benjamin Faucher, vétérinaire également résident de Pierreville. On est au beau milieu de la période qu’on appelle la Révolution tranquille, la grève des postiers qui s’étend à tout le pays force le gouvernement fédéral à procéder à une première négociation collective tandis qu’au Québec, le nouveau Premier ministre Daniel Johnson intime ses députés à cesser la pratique de remplacement des employés gouvernementaux comme il était coutume de le faire.

La mort de Daniel Johnson, lors d’une visite au barrage de la Manicouagan, sonne le glas de l’Union nationale et lors de l’élection de 1970, par une faible marge, Benjamin Faucher gagne la deuxième manche électorale contre M. Shooner.

Comme il n’est pas un politicien carriériste, il retournera à ses occupations normales, mais en novembre 1973, le feu emporte le magasin général et les entrepôts et ce n’est que 2 ans plus tard que le commerce réapparaîtra sous la forme moderne comprenant une division alimentaire avec franchise Provigo et une grande surface pour exploiter une quincaillerie Rona, profitant également d’un grand espace de stationnement suite à l’acquisition et la disparition de l’édifice Laperrière. Ces locaux abritent aujourd’hui la Coopérative de solidarité santé Shooner et Jauvin, la pharmacie Familiprix et le détaillant Korvette.

Retour aux sources

Homme de terrain, il se consacre plus à la gestion des lieux, des marchandises et des clients que de la paperasse. Et au fil des ans, ses enfants Erick et Ingrid viendront lui prêter un coup de main et prendre la relève dans l’entreprise, pendant que Karl et Johanne feront carrière dans le domaine de la santé. Par ailleurs les quatre enfants du couple Paul Shooner – Denise Bérubé ont exercé leur profession ici même à Pierreville, ce qui aura été souligné par la Société Saint-Jean-Baptiste en lui décernant le prix Joseph-Enna Girouard en avril 1988, reconnaissant ainsi son implication locale.

Encore bien actif, même s’il ne pratique plus les sports tels le hockey, le baseball ou le tennis comme dans sa jeunesse, il s’adonne toujours la chasse, possiblement une tradition familiale qui date de l’arrivée 1812 de deux frères Shooner, immigrants d’origine allemande qui s’étaient d’abord installés sur la seigneurie Würtele à Saint-David. Ferdinand, qui épousa Marie Desmarais de Saint-François-du-Lac en 1815, s’établira du côté est de la rivière Saint-François et n’eut qu’un seul fils John qui exploitait un magasin général dès 1851. Fait à noter, cet emplacement prendra le nom de Pierreville en 1853.

 

La mémoire en héritage

Féru d’histoire, et en particulier de la petite histoire de Pierreville et des environs, Paul Shooner fonde la Société historique de la région de Pierreville avec Jean-Luc Côté, Jacques Lafrenière, René Shooner, Réjean Descôteaux et quelques ami(e)s en 1977. Ce sera d’ailleurs l’une de ses occupations de prédilection depuis quelques années et pour ses recherches il s’installe dans une pièce de la maison qui regorge de livres et de documents qu’il a lui-même colligés à l’aide de l’ordinateur et du téléphone qu’on retrouve aujourd’hui bien installés sur un bureau ayant appartenu Paul Comtois du temps où il était député fédéral conservateur du comté Nicolet-Yamaska et plus tard nommé Lieutenant-Gouverneur du Québec.

Source intarissable de faits historiques et d’anecdotes de toutes sortes, M. Paul Shooner, qui est depuis 27mars 2019 le doyen des ex-députés de l’Assemblée nationale, incarne parfaitement la devise du Québec qu’on retrouve sur nos plaques d’immatriculation: Je me souviens. Je pourrais faire une recherche sur Google pour connaître l’origine de cette devise, mais je crois plutôt que je vais attendre l’une de ces journées où j’aurai l’occasion de le croiser alors qu’il prend une de ses promenades quotidiennes dans le village et lui adresserai tout d’abord, et comme à l’habitude, un Bonjour Monsieur Shooner… et pourrai par la même occasion en apprendre encore un peu plus sur l’histoire de ma région et de mon patelin.

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