Comprendre l’autre

Gilles Gagné, Graffici, Gaspésie, juin 2020

Au cours des prochaines semaines, des prochains mois, la Gaspésie sera ciblée par des milliers de Québécois comme l’un des endroits où l’on peut oublier les affres de la pandémie de la COVID-19. Les citadins se sentant pris depuis mars dans l’étau du confinement, dans les canicules urbaines et la flambée qui a caractérisé la propagation du coronavirus, retrouveront dans notre région de l’espace et de l’oxygène.

Retrouveront-ils de la courtoisie et de la compréhension, deux des qualités qui composent traditionnellement l’hospitalité gaspésienne?

Le contexte de la pandémie a exacerbé le meilleur et le pire des êtres humains. On assiste à des cas saisissants de générosité humaine, et à l’autre bout du spectre à des cas de mesquinerie dépassant l’entendement, comme des gens qui se font enguirlander dans un stationnement parce qu’ils ont osé aller au supermarché de la ville voisine, en raison de la fermeture momentanée de leur épicerie.

Nous ne savons pas comment sera l’état de la pandémie au Québec à la fin de juin. S’il y a des visiteurs en Gaspésie, c’est parce qu’on n’aura pas encore assisté à la seconde vague, si elle se manifeste et que le re-cloisonnement de certaines régions n’aura pas été nécessaire.

Ce droit de venir ici s’accompagne aussi de responsabilités pour les visiteurs. En principe, jusqu’à nouvel ordre, les gens de la grande région de Montréal ou des autres régions plus infectées par le coronavirus sont supposés s’imposer une quarantaine quand ils se rendent dans un secteur à faible incidence de la COVID-19 comme la Gaspésie. Cette quarantaine n’est pas obligatoire, mais elle est recommandée.

Comme dans l’application de tout règlement, certaines personnes s’y conformeront et d’autres pas. Une quarantaine dure 14 jours en principe et peu de gens viennent en Gaspésie aussi longtemps, excepté ceux qui y détiennent une propriété.

Sera-t-on tenté d’apostropher les visiteurs dans les stationnements de supermarchés ou jettera-t-on un peu de lest?

La question est délicate. Qui n’a pas enfreint un tout petit peu certaines règles de distanciation physique et sociale depuis la mi-mars? Qui a lavé ses mains aussi souvent que la Direction de la santé publique le recommande? Qui a limité ses visites dans les commerces à une fois par semaine? Des gens l’ont fait, mais est-ce la majorité?

Il y a fort à parier que c’est une minorité de personnes qui obtiendrait une note de 100 %.

La pandémie nous oblige à adopter des habitudes contre nature. L’être humain a généralement besoin de contacts serrés avec d’autres humains sur une base régulière. Il n’est pas naturellement « docile » et « obéissant », comme l’a demandé à la fin d’avril la vice-première ministre du Québec, Geneviève Guilbault, en remplaçant François Legault au point de presse quasi quotidien des autorités.

Fermer la Gaspésie aux touristes cette année est irréaliste, bien que des milliers de personnes aient signé une pétition en ce sens. C’est irréaliste à moins que les régions soient de nouveau cloisonnées en raison d’une seconde vague précoce de la COVID-19.

Près de 7000 personnes travaillent en tourisme en Gaspésie. Il est déjà certain qu’une bonne partie de ces travailleurs ne pourra reprendre le boulot dans les jours et les semaines à venir. Accentuer ce chômage ne réglerait rien. En fait, on pourrait créer une situation sociale pire qu’une seconde vague de propagation du coronavirus.

On sait aussi qu’une part importante de ces « touristes » sont en fait d’anciens résidents de la Gaspésie venant visiter de la famille et des amis. Cette situation contribue à l’équilibre économique, social et mental des gens de la place. Cette visite et le contexte peu rassurant de la vie urbaine au cours des derniers mois pourraient en outre convaincre des gens de venir ou revenir s’établir. Recevoir du monde est risqué? Oui, tout est dans la flexibilité.

 

Le gros bon sens

Les humains ne sont pas au bout de leurs peines en matière de défis. S’ils pensent avoir atteint le summum du sacrifice depuis le début de la pandémie, ils risquent d’être déçus. La récession économique dans laquelle nous entrons et le redressement des finances publiques qui suivra constitueront des tests de renoncement et de patience significativement plus difficile.

Tout ça pourrait en outre n’être qu’une bien pâle répétition de ce que l’humanité vivra quand les changements climatiques se déchaîneront réellement, étant donné que cette même humanité semble prendre bien son temps avant de réagir par des gestes concrets et constants aux signaux envoyés à la suite d’épisodes inquiétants de débordements « naturels » comme les tempêtes, les vagues de chaleur et les précipitations records.

Loin du confinement, les dérèglements climatiques forceront le déplacement de millions de personnes. Les tensions qui en résulteront seront bien pires que celles provoquées par des gens en quête de vacances.

La meilleure compréhension entre les peuples commence à petite échelle, donc entre gens d’une même région, puis entre gens de régions différentes.

La COVID-19 nous « lance » une sorte d’avertissement. Il serait peut-être utile de le saisir. Les leçons apprises depuis mars et au cours des prochains mois seront déterminantes dans la qualité de l’avenir à plus long terme de l’humanité.