Le tourisme montréalais se relèvera-t-il?

Samuel Larochelle, Échos Montréal, juin 2020

Plus de 11 millions de personnes ont visité Montréal en 2019, un record qui allait vraisemblablement être fracassé en 2020. Jusqu’à ce que la COVID-19 mette la planète entière sur pause et place le tourisme montréalais en déroute.

Après cinq années de croissance consécutives, Tourisme Montréal  prévoyait une nouvelle hausse. « Nous étions sur l’autoroute et on roulait à 200 km/h, illustre Manuela Goya, vice-présidente chez Tourisme Montréal. Le carnet des congrès était pratiquement à pleine capacité. Les perspectives des hôteliers étaient très intéressantes, tant pour le tourisme d’affaires que d’agrément. Montréal vivait des moments enlevant avec l’arrivée de nouveaux hôtels et la complétion de la première étape des travaux de réfection de la rue Sainte-Catherine Ouest. Puis, tout s’est arrêté et notre industrie a été mise à genoux. »

La PDG de l’Association des hôtels du Grand Montréal, Ève Paré, parle quant à elle d’hécatombe. « Les carnets de réservation se sont vidés pour le printemps et l’été. Nos membres ont été forcés de mettre à pied 85 % de leurs effectifs temporairement et la moitié des établissements ont suspendu leurs activités. En avril, nous avions 3,6 % d’occupation. » La restauration écope elle aussi, alors que 50 % des restaurants sont fermés depuis que l’utilisation des salles à manger est interdite au Québec. « La situation est extrêmement difficile pour notre secteur, qui sera impacté pour des mois, voire encore une année entière, plaide François Meunier de l’Association des restaurateurs du Québec. Annuellement, les restaurants de la province génèrent 14 milliards de ventes et une grande part de cet argent ne reviendra jamais. Les consommateurs ont moins d’occasions de manger à l’extérieur, sans festivals, sans événements sportifs et culturels, et avec la recrudescence du télétravail. »

Alors qu’une première étape de déconfinement des restaurants québécois était prévue le 15 juin à l’extérieur du Grand Montréal, il n’est pas dit que les consommateurs seront au rendez-vous. « Plusieurs sondages démontrent que les gens sont prêts à sortir, mais moins à Montréal, qui avait encore un foyer de pandémie latent au début juin,  dit M. Meunier. Cependant, on sent une envie du public de fréquenter les restaurants. Même si on ne sait pas comment les clients vont réagir aux serveurs qui portent un masque ou aux invités à distance. Les restaurants dont la vocation n’est pas seulement alimentaire ne pourront plus offrir la même expérience. Il y a donc une inquiétude. »

Les craintes sont également nombreuses dans les hôtels, qui se remplissent généralement de 80 % de touristes venant de l’extérieur du Québec. « Tant et aussi longtemps qu’il y aura les restrictions de mouvements entre les provinces, les vols annulés, les frontières fermées ou l’obligation de s’isoler 14 jours après son arrivée, ce sera difficile de remplir nos chambres, souligne Mme Paré. Je ne vois pas vraiment d’été touristique à Montréal… À part peut-être quelques chambres louées par des Montréalais ou des gens des régions avoisinantes qui ont besoin d’une pause de leur maison. »

Habitué de concentrer une grande partie de ses efforts de promotion à l’international, l’organisme Tourisme Montréal  se décrit ponctuellement comme l’agence de voyages des Montréalais. « Dès que les mesures sanitaires seront mises en place, on veut inviter les Montréalais à être touristes dans leur propre ville, explique Mme Goya. On va les inviter à sillonner la ville d’est en ouest et du nord au sud, en profitant des pistes cyclables, des espaces piétons et des parcours exceptionnels dont les touristes étrangers sont épris, mais que les citoyens connaissent parfois peu. »

Pour sa part, François Meunier croit qu’il est utopique d’entrevoir une compensation des pertes des clientèles étrangère et québécoise par l’activité accrue des Montréalais dans leur ville. « En temps normal, 500 000 personnes viennent travailler au centre-ville. S’il y la moitié d’entre eux qui télétravaillent chez eux, y compris sur l’île, ce n’est pas vrai qu’ils vont prendre la peine de se promener au centre fréquemment. »

Cela dit, avant d’extrapoler sur une éventuelle relance, Ève Paré préfère parler de survie. « Cet été et cet automne, un taux d’occupation de 10 % serait un scénario optimiste. En l’absence d’un vaccin, la distanciation physique va demeurer, ce qui empêchera la tenue de réunions d’affaires, de banquets, de congrès, de mariages et même de party de Noël! On est engagé dans un marathon de plusieurs mois avec de très faibles revenus. On demande donc au gouvernement une aide pour se maintenir la tête hors de l’eau, le temps que la tempête passe. » Du côté des restaurateurs, on espère au moins un report des frais fixes des loyaux commerciaux, afin de respirer un peu. « Il est hors de question d’avoir des prêts, affirme François Meunier. En plus de maintenir la subvention salariale d’urgence le plus longtemps possible, on a besoin d’aide directe pour permettre aux gens de se rendre jusqu’à la fin de la crise. Sinon, plusieurs entreprises de restauration vont fermer leurs portes, et pas juste des bouis-bouis mal administrés. »  En date du 5 juin (jour de l’entrevue), Tourisme Montréal attendait que les gouvernements fédéral et provincial, ainsi que la Ville de Montréal, s’engagent à soutenir l’industrie touristique. « Ils ont la responsabilité de ne pas effacer 20 ans d’efforts en n’intervenant pas. S’ils laissent mourir l’industrie touristique, on va avoir besoin de dix ans pour se remettre debout. »