Sylvain Vigier, Entrée libre, Sherbrooke, avril 2020
Il y aura une lumière au bout du tunnel. C’est une des rares certitudes que l’on peut avoir à ce jour dans le moment incroyable que nous vivons. La vraie question est quelle couleur aura cette lumière de l’après-pandémie et confinement. Le gris anthracite des costumes des technocrates qui administrent la vie sociale parce qu’ils tirent les ficelles de la vie économique, ou le rose bonbon, voire arc-en-ciel, d’un Monde que l’on souhaiterait pour une fois rêver en vrai? Car si la discipline (il faut le reconnaitre), la bienveillance et la résilience ont marqué notre entrée dans le confinement, le vernis rassurant et un peu paternaliste du « Ça va bien aller » craque devant le prolongement de la crise sanitaire et révèle les limites de notre système économique et social.
Les « anges gardiens » célébrés à grands trémolos dans les points de presse quotidiens du premier ministre Legault sont certes les travailleurs et travailleuses de la santé qui subissent la vague des plus graves cas de la COVID. Mais nos «anges gardiens» à nous, les confinés en bonne santé? Ceux qui font que dans notre réclusion relative nous ne manquons de quasiment rien, que nos frigos sont toujours pleins, que l’on peut recevoir à domicile son épicerie de la semaine, agrémentée d’un livre, d’un jouet pour enfant, ou de toutes les bébelles toujours disponibles dans le monde merveilleux du e-commerce? Ces personnes-là sont celles qui nous permettent à tous de continuer à vivre par leur travail quotidien. Le commis de l’IGA, le livreur de pizza, la travailleuse agricole, celles des chaines d’abatage et de conditionnement de la viande, les routiers qui traversent le pays à grandeur pour approvisionner tous les magasins. Ces travailleurs et travailleuses de toute la chaine logistique de l’approvisionnement quotidien sont au front. C’est l’ensemble du travail que l’on ne voit jamais car dans le confort et l’indifférence, sa nécessité nous l’a rendu évident et ainsi invisible, comme l’air que l’on respire.
Maintenant que nos héros en short et chaussettes qui nous font vibrer par leurs tirs, smashs, retournés acrobatiques ou survirages maitrisés sont confinés comme nous et ont déserté nos écrans de télé, nous ouvrons peut-être un peu plus les yeux sur ce qui est essentiel, et qui doit donc être rémunéré à son juste prix. Aujourd’hui sur le marché, combien vaut Carey Price et combien vaut le commis aux fruits et légumes? Les chaines d’alimentation Loblaws et Metro ont augmenté temporairement de 15 % leurs salarié.es pour « reconnaitre leur travail difficile ». Une telle annonce coute moins cher qu’une campagne d’affichage et son indécence est toute concentrée dans le « temporairement ». Un cran plus loin, on trouve les médecins spécialistes qui ont négocié un salaire horaire de 211 $ l’heure pour travailler comme renfort dans les CHSLD. Le manque de moyens humains des CHSLD est dénoncé depuis des lustres et le personnel qui travaille auprès de nos vieux a reçu une prime de 4 $ l’heure pour un salaire final de 17 $ l’heure.
Qui veut travailler en CHSLD? Qui veut remplir les étalages de viande, de pommes de terre et de farine? Qui veut les ramasser les pommes de terre et les abattre les poulets pour l’orgie du Super Bow l? Personne, et c’est bien normal pour faire un travail si contraignant pour 13 $ l’heure. Et les médecins spécialistes nous le rappellent crument. Oui on ne peut pas prendre le premier quidam dans la rue pour une opération de neurochirurgie. Mais nous avons besoin tous les jours des quidams qui travaillent à l’épicerie, tandis qu’en une vie on peut ne jamais avoir affaire avec un médecin spécialiste.
Alors, qui est essentiel? Et quel est le prix de ce travail? Cette parution d’Entrée Libre était à l’origine prévue pour être celle du « 1er mai », la Journée internationale des travailleurs et travailleuses. Nous publions dans cette parution modifiée des textes qui peuvent nous permettre d’organiser différemment le Monde qui suivra la pandémie. La rémunération du travail communautaire, la réalité de la vie sur le B.S., la Décroissance; une série de réalité et de réflexions qui doivent nous permettre de proposer un projet collectif post-COVID.