Josée Martin, une enseignante en mathématiques de l’école Antoine-Bernard.

Classe inversée numérique : trois avantages d’enseigner autrement

Roxane Langlois, GRAFFICI, Gaspésie, avril 2020

Voilà déjà trois ans que la Commission scolaire René-Lévesque multiplie les efforts et les actions afin d’intégrer la technologie dans son cursus scolaire. Josée Martin, une enseignante en mathématiques de l’école Antoine-Bernard, à Carleton-sur-Mer, innove notamment avec un projet-pilote de « classe inversée » technologique offert en primeur à un groupe de secondaire cinq. Si cette façon de faire inédite semblait porter ses fruits même avant, la pandémie de la COVID-19 semble vouloir donner raison à Josée Martin. ABC d’un projet qui prend tout son sens en temps de crise sanitaire.

« Je suis partie de la problématique selon laquelle les élèves n’avaient pas le temps de faire leurs devoirs », explique d’emblée Josée Martin. S’inspirant du travail abattu par des collègues de l’école secondaire des Deux-Rivières de Matapédia, celle qui en est à sa 26e année d’enseignement a mis au point un système pour le moins original, qui est officiellement sur les rails depuis janvier dernier.

Passionnée, Josée Martin procède d’abord à l’enregistrement audio d’une capsule théorique pour chacun de ses cours. L’image de son propre écran, où se multiplient les équations, s’ajoute à la vidéo de 15 à 20 minutes. Ses 25 élèves de la séquence de sciences naturelles (SN) accèdent ensuite au résultat final via une chaîne YouTube privée. « Ils vont choisir le moment opportun pour écouter la théorie de mon cours », résume-t-elle.

Les jeunes ont également accès au matériel pédagogique par le biais de Microsoft Office 365, directement sur leur ordinateur-tablette avec stylet prêté par le ministère de l’Éducation. Ils peuvent ainsi faire leurs exercices en ligne, clavarder avec leur enseignante, et même faire des travaux d’équipe.

Entre les quatre murs de la classe de madame Martin, les cours traditionnels ont disparu : toujours munis de leurs appareils respectifs, les jeunes se concentrent exclusivement, avec leur enseignante, sur les exercices découlant des apprentissages faits à la maison. C’est donc dire que la théorie remplace les devoirs et que les problèmes mathématiques à résoudre prennent d’assaut la salle de classe. « C’est exactement de là que vient l’appellation « classe inversée » : on inverse la théorie et la pratique », vulgarise l’enseignante.

Si Mme Martin ne reviendrait pas « dans ses vieilles pantoufles », elle admet néanmoins sans détour que son initiative personnelle, en plus d’exiger une importante préparation, bouscule les normes. « Parfois c’est dans le bon sens et d’autres fois dans le mauvais. Il y a des profs qui tripent sur ce projet-là et qui disent que c’est vers ça qu’on doit aller, mais aussi d’autres qui se retrouvent à l’extérieur de leur zone de confort et qui trouvent que ce n’est pas pour eux », admet-elle.

Loin de vouloir transformer ses élèves en cobayes, Josée Martin assure que leur apprentissage prime en tout temps. D’ailleurs, lors du lancement du projet, elle a fait savoir qu’un retour à l’enseignement régulier se ferait sans tarder si le test n’était pas concluant. Les résultats du dernier examen du chapitre portant sur les vecteurs sont toutefois très prometteurs. « Pour le même examen que j’ai donné l’année passée, il y a dix points de plus sur la moyenne », se réjouit la mordue de technologie.

Jusqu’ici, l’enseignante s’octroie la note de 9 sur 10 pour ce projet novateur et décrit trois avantages pour mettre de l’avant un tel modèle de pédagogie.

 

  1. Un enseignement à l’épreuve des situations extraordinaires

Si tous les cours étaient suspendus depuis un peu plus d’une semaine en raison de la propagation de la COVID-19 (au moment d’écrire ces lignes), plusieurs élèves de Josée Martin, bien que confinés à domicile, continuaient sur une base volontaire leur parcours académique en mathématiques. À son avis, la crise sanitaire met en lumière l’immense potentiel de l’éducation à distance et de la technologie. « Le coronavirus me donne raison d’avoir pris cette direction-là. C’est capoté!, s’exclame la dame de 49 ans. […] Il n’y a rien à l’épreuve d’un cours comme celui-là. »

La conseillère pédagogique et responsable du Réseau éducation collaboration innovation technologie (RÉCIT) au sein de la Commission scolaire René-Lévesque Édith Bujold admet d’ailleurs que cette période trouble pourrait éventuellement constituer un argument supplémentaire dans l’implantation de projets comme celui de Mme Martin. « On ne sait pas trop comment ça va se décliner dans le futur, mais ça devient manifeste que c’est une compétence que l’on va devoir développer pour nos élèves dans les prochaines années », mentionne-t-elle.

Cette dernière ne serait d’ailleurs pas surprise, une fois la pandémie passée, que d’autres enseignants formulent le souhait de marcher dans les traces de Josée Martin. « Si c’est le cas, on soutiendra ceux qui auront le désir de vouloir travailler plus avec les technologies numériques pour de l’enseignement en ligne ou à distance », confirme Mme Bujold.

La Commission scolaire René-Lévesque planche depuis plusieurs années sur la possibilité de rendre accessibles à distance certains cours entre ses différents établissements dans le cadre du Plan d’action numérique en éducation et en enseignement supérieur du gouvernement québécois. D’ici à ce que ce projet soit au point, d’autres initiatives à saveur technologique, outre celle de Josée Martin, sont en cours en partenariat avec la Formation à distance interordre (FADIO) à Matapédia et Bonaventure.

 

  1. Une approche plus adaptée à la réalité des jeunes

 

Lorsque ses élèves ont pris possession de leur matériel informatique en vue du projet-pilote, Josée Martin ignorait combien de temps serait nécessaire pour qu’ils s’y acclimatent; sans surprise, ceux-ci ont assimilé leur nouvel outil de travail en un tournemain. Les deux générations, celle de la professeure et celle de ses élèves, se retrouvent ainsi sur un terrain d’apprentissage technologique qu’ils partagent ensemble.

« J’ai trouvé un filon et je trouve que les jeunes, présentement, me le rendent super bien. […] Ils m’apprennent souvent des choses qu’ils découvrent et ça leur fait tellement plaisir de le faire! Moi, ça me nourrit », lance celle qui s’est vue libérée d’un groupe par sa commission scolaire pour mener à bien ce projet.

Pour la principale intéressée, ce mode de fonctionnement, même s’il n’est pas parfait et tend à diminuer les interactions en classe, possède l’avantage indéniable de se rapprocher de la réalité des adolescents. « Il faut suivre cette génération-là, sinon, on est plates. Je ne me verrais plus avec un tableau et une craie. On est rendu ailleurs et je suis la première à dire que l’éducation, il faut que ça change. Ça fait 50 ans qu’on enseigne de la même façon, mais les jeunes ont changé », plaide la Gaspésienne à l’enthousiasme contagieux.

 

  1. Plus de temps pour la pratique

Emma Bernard, 16 ans, est l’une des élèves du groupe prenant part au projet. L’adolescente estime que cette nouvelle façon de procéder a pour principal avantage de mettre l’accent sur l’aspect pratique des mathématiques. Ses comparses et elle ont également plus facilement accès aux explications de leur enseignante. « Maintenant, on passe toutes nos classes à travailler, alors qu’avant, on les passait à écouter. En classe, c’est plus productif », fait-elle valoir.

Selon Josée Martin, l’autonomie de ses jeunes protégés et, inévitablement, leur participation active en sont par conséquent accrues. La discipline se raréfie également. « Je reçois des questions que je n’avais pas reçues depuis environ dix ans. Ça veut dire que mes groupes précédents ne se rendaient peut-être pas aussi loin dans les exercices », renchérit l’enseignante, qui passait autrefois environ 50 des 75 minutes du cours à livrer magistralement la théorie.

La période des devoirs est également fortement simplifiée, note son élève : « Pour moi, c’est plus facile, en revenant de l’école, d’ouvrir la capsule, de l’écouter et de faire deux ou trois numéros que d’arriver fatiguée et d’avoir à en faire 21. À la maison, l’effort est moins grand parce qu’on donne un gros blitz en classe. »