Gilles Gagné, GRAFFICI, Gaspésie, le 8 avril 2020
La crise actuelle du coronavirus, précisément la COVID-19, laissera sans doute des traces profondes dans la plupart des sociétés de cette terre. Sa durée déterminera la profondeur des traces. C’est dommage. Il serait préférable que nous apprenions sans souffrir. L’apprentissage est malheureusement trop souvent proportionnel à l’étendue des dommages.
Le problème, c’est que collectivement, les êtres humains attendent généralement que les situations dégénèrent en crises avant d’agir. Sans affirmer que l’être humain a provoqué la crise du coronavirus, il est clair qu’il a souvent attendu que la situation dégénère sérieusement avant de bouger. Il y a une part compréhensible. La dernière pandémie touchant l’humanité à ce point remonte à 100 ans. Les témoins sont donc extrêmement rares et l’histoire, pauvre elle, est une discipline qui se distingue davantage par la faculté d’une majorité d’êtres humains d’oublier que de se souvenir.
Quelles leçons retiendra l’humanité de la crise actuelle? Reprendre au plus sacrant notre rythme de consommation d’avant le 12 mars, ou s’imposer un rigoureux examen sur l’exploitation des ressources nécessaires à la production des biens de consommation, et de l’impact de cette exploitation sur la nature? Miser sur la qualité et la durabilité plutôt que sur les objets jetables représente une façon d’éviter la surexploitation de ressources limitées. Nous n’avons qu’une planète, pas quatre.
Dans un texte brillant publié le 22 février dans La Presse, l’auteur, chroniqueur, humoriste et avant tout docteur en océanographie Boucar Diouf, indique que la crise pourrait bien découler de la détérioration des habitats naturels, détérioration qui met en contact plus fréquent des espèces sauvages et les être humains. Ce phénomène augmente en gros la probabilité que des virus touchant les animaux mutent et affectent les êtres humains, qui se retrouvent alors vulnérables devant cet inconnu. Ces contacts sont multipliés parce que l’être humain détruit les habitats fauniques.
Spécialiste des océans, Boucar Diouf se réfère aussi à d’autres scientifiques ayant observé qu’en mer, les virus les plus dommageables affectent généralement les prédateurs les plus menaçants. Il se demande donc si cette tendance se transpose sur terre. À cet égard, il est clair que l’Homo sapiens, arrivé tardivement si on compare sa présence à celle d’autres êtres vivants, occupe incontestablement la position de tête des prédateurs dommageables!
Bref, une réflexion s’impose. Depuis des décennies, les êtres humains refusent majoritairement de modifier leurs habitudes de consommation malgré des signes visibles, voire criants, et incontestables que leur présence affecte, parfois irrémédiablement, l’environnement. Les dommages à l’environnement, principalement à la qualité de l’eau et de l’air, tuent déjà 250 000 personnes par an sur la terre, sans générer de mobilisation comparable à celle de la lutte au coronavirus.
Paradoxalement, il aura suffi d’un virus invisible, excepté pour des chercheurs et des laborantins, pour mettre l’humanité à genoux.
La mobilisation est donc possible quand l’humain a peur, une peur justifiée ici. Ne serait-il pas plus judicieux de bouger avant cette grande frayeur? Les gens veulent vivre. Mais ne serait-il pas valable que la vie actuelle ne se fasse pas au détriment de celle des générations suivantes, de nos enfants?
L’action collective démarre difficilement dans notre société individualiste, mais quand la preuve nous explose à la figure, comme c’est le cas depuis le 12 mars, premier jour d’intervention massive de nos gouvernements, il y a de la place pour l’espoir.
Qui saura incarner le changement? Malgré son ton rassurant depuis le début de la crise, François Legault aura peut-être de la difficulté à monter la marche suivante, celle des changements environnementaux. Où trouvera-t-on un Horacio Arruda de l’écologie, une personne qui pourrait inspirer le premier ministre québécois? M. Legault saura-t-il se laisser toucher par des questions plus complexes? Il n’a pas été très inspirant face à des enjeux requérant une pensée plus moderne depuis l’élection d’octobre 2018.
Le monde de demain, qu’il soit gaspésien, québécois, canadien ou mondial, devra changer. Il devra choisir à sa tête des gens épris de justice sociale, de partage des revenus, d’équité dans les chances de réussite, d’achat local et de fabrication locale.
Il devra revoir la notion de réussite, changer les paramètres des systèmes d’éducation, redonner une place à l’empathie, puisqu’une société est notamment jugée par le sort qu’elle réserve à ses éléments vulnérables.
Les citoyens des États-Unis, de la Russie et du Brésil, pour ne nommer que ces pays, sauront-ils se débarrasser d’incompétents comme Donald Trump, Vladimir Poutine et autres Jair Bolsonaro, des gens indignes de leur fonction?
Il faut aussi remettre en question le modèle économique qui fait de Costco, Walmart et surtout Amazon, les grands gagnants de la crise actuelle. C’est un modèle qui faillit à la tâche en équité sociale et fiscale, alors que la terre compte assez de richesse pour tout le monde. C’est le même modèle qui mène au gaspillage de 30 % des aliments produits, déclassés avant leur mise en marché.
On en a marre des Netflix qui n’ont pas payé de taxes sur des revenus de 780 M$ au Canada l’an passé, des Uber qui minent les services publics en outrepassant leurs contributions fiscales, des milliardaires qui remettent en doute l’utilité de l’état et qui ne paient pas d’impôt avec le consentement, belle contradiction, des législateurs, nos gouvernements.
Walmart et Amazon créent de l’emploi? Non, elles exploitent du monde à faible salaire au bénéfice d’une inutile et immorale accumulation de richesse de leurs propriétaires, cette même accumulation qui fait que 40 % de salariés vivent de paie en paie. Qui va défrayer la nécessaire centaine de milliards de dollars qu’allongera le Canada pour atténuer la crise du coronavirus? Les contribuables, pas les milliardaires.
On recycle comment ces pirates? On cesse d’acheter chez eux, et on les envoie aider les employés de supermarchés et de pharmacies, qui prennent, avec les employés de la santé, les plus grands risques depuis le début de mars, à répondre à trop de gens ne respectant pas les quarantaines.
Sans être facile, se mobiliser pour amorcer ces virages de façon réfléchie est plus aisé que de s’enfermer des semaines ou des mois à la maison, moins difficile que de s’exposer à d’autres crises du genre, dans une attente ponctuée de fièvres de consommation qui creusent le trou dans lequel s’enlise l’humanité.