Éric Normand, Le Mouton NOIR, Rimouski, le 18 mars 2020
Chaque pratique artistique nécessite un lieu dont l’existence dépend de l’organisation d’une communauté. Le plus souvent par chez nous, la présence d’un endroit dédié à une activité répond soit à des raisons économiques, soit aux revendications de lobbys ou d’associations communautaires.
Dans les grandes villes, les ateliers d’artistes peuvent parfois jouer un rôle désolant dans la chaîne de l’évolution des quartiers et de la spéculation immobilière. Ils arrivent dans un moment creux de la valeur, celui du post-industriel ou du post-autre-chose. Ils redonnent de l’intérêt aux bâtiments et aux secteurs, en rehaussent la qualité de vie et arrivent, bien malgré eux, à la base de la chaîne de l’embourgeoisement. Quand les artistes s’installent, s’ouvrent cafés, restos, boutiques, jusqu’à ce que la boucle se ferme et qu’on évince les artistes pour délit de valeur immobilière, afin de permettre la construction de tours à condos mornes et rentables, qu’on nommera « Cité des Arts ».
Dans des villes de petite taille comme Rimouski, ce phénomène n’existe pas, car les artistes ne représentent pas une masse critique assez importante pour changer le visage d’un quartier. L’existence de lieux dédiés à la pratique des arts dépend alors de prometteurs avisés ou des bonnes intentions et relations qu’entretient l’administration municipale avec la communauté artistique.
Il est important de différencier deux types de lieux consacrés à la pratique des arts : les lieux de production et de recherche qu’occupent les artistes professionnels, et ceux ouverts aux amateurs, leur permettant de s’initier aux arts ou de les pratiquer comme passe-temps. Autrefois, les Ateliers Saint-Louis de Rimouski avaient cette double vocation et abritaient à la fois des ateliers individuels et collectifs.
Aujourd’hui, les locaux pour artistes ont pratiquement disparu à Rimouski. Dans ce contexte, les artistes professionnels sont repoussés chez eux, les plus chanceuses et chanceux se bricolent un atelier au garage ou au sous-sol, loin de l’animation de la cité. Ils s’isolent ainsi de la vie publique et des échanges avec les autres créateurs, une proximité pourtant vitale, à la base même de l’idée d’une culture locale.
Qu’en est-il des pratiques amateurs? Les écoles de danse et de musique s’occupent d’espaces pour la formation. Nos bibliothèques font des efforts pour l’accessibilité à la culture. Toutefois, rien ne nous permet d’avoir un accès collectif et adapté à la création, de convier les citoyens et les citoyennes à une ou à des pratiques artistiques. Plusieurs cours d’art actuellement offerts ne fournissent pas de matériel et se déroulent dans des locaux inappropriés, comme l’ancienne école Claire-L’Heureux-Dubé où vos enfants pourront côtoyer des militaires fantoches simulant la Troisième Guerre mondiale en allant à leur cours de dessin.
Alors que le lobby du sport arrive à se faire construire piscine, glace et anneaux de course, je crois qu’il est grand temps de faire valoir le rôle de la créativité dans la vie d’une communauté. Il le faut si on veut que Rimouski devienne une ville de son temps, innovante, transformant ses contraintes de petite collectivité en atouts. Autrement, aux Jeux du Québec, vous viendrez chanter avec moi : « un cerveau spongieux dans un corps sain ».