Roger Perreault, camelot à la distribution, L’Itinéraire, Montréal, le 15 février 2020
L’environnement, l’écologie, la protection des espèces, le développement durable et le plaisir sont des irréconciliables, croyez-vous ? Eh bien non, la designer Léonie Daignault-Leclerc en fait une brillante démonstration dans le livre Pour une garde-robe responsable.
C’est sans hésitation qu’elle a répondu à L’Itinéraire pour parler de son livre. Nous avons vu débarquer dans nos locaux une jeune femme de 28 ans, entrepreneure, déjà engagée dans l’industrie de la mode durable, soucieuse de produire des vêtements écologiques, durables et éthiques. Son dynamisme et son enthousiasme, son initiative (à 12 ans, elle fabriquait déjà des vêtements pour ses amies et elle), sa fierté de parler de son ouvrage, de ses valeurs environnementales et sociales étaient manifestes.
Après des études collégiales en design de mode, Léonie Daignault-Leclerc obtient un baccalauréat en commercialisation de la mode à l’École supérieure de mode de Montréal. Pour en apprendre plus sur ce monde, elle quitte le Québec pour aller entreprendre une maîtrise des arts en mode avec une spécialisation en mode durable à l’Université Ryerson de Toronto, seul endroit au Canada où un tel programme est offert.
En 2015, malgré son jeune âge, elle lance la marque Gaia & Dubos (Gaïa est, chez les Grecs anciens, la déesse de la terre et la déesse mère). L’écolo de la gang Son livre, c’est le moins qu’on puisse dire, débute de façon plutôt fracassante. Ses premiers mots : « J’ai reçu un coup de pelle en pleine face » quand une amie lui fait prendre conscience de ses habitudes de consommation vestimentaire.
Elle a toujours été l’écolo de la gang, celle qui chicanait tout le monde quand ils prenaient leur voiture pour parcourir deux kilomètres, qui les blâmait pour ne pas recycler le petit cylindre de carton de papier de toilette. Comme l’écologie a toujours fait partie de ses valeurs depuis qu’elle était toute petite, elle prenait conscience de la contradiction entre son discours et ses pratiques.
Étudiante au cégep, elle explique que « Je dépensais énormément d’argent dans le fast fashion, la mode rapide, tendance, cheap, pas cher. Dans ma tête, l’impact environnemental n’était aucunement lié. Il y a 10 ans, le développement durable, ce n’était vraiment pas à la mode. Je ne savais rien de tout ça ».
Grotesque commerce polluant
C’est à l’université, alors qu’elle doit faire un travail sur un sujet de son choix, que tout débute. Elle décide de mener sa « petite enquête » sur les impacts environnementaux et sociaux de l’industrie de la mode. Le moment était venu de se mettre à la page. Mais ce qu’elle a découvert, dit-elle, l’a choquée monstrueusement. Ce monde à l’allure si glamour, elle le décrit aujourd’hui comme un « grotesque commerce polluant et inhumain. Il s’agit d’une industrie dont la seule préoccupation est de faire consommer le plus possible. Ce système, le fast fashion, fabrique des vêtements qui sont presque considérés comme jetables. Chaque fragment de cette industrie a une incidence horrible sur la planète et sur l’humanité. J’étais désemparée. Je me sentais trahie, trompée. Mais surtout, je me sentais responsable. »
Cette réflexion l’amène à une préoccupation écologique bien sûr, mais également à une préoccupation sociale. Elle écrit en prologue de son livre : « L’industrie de la mode rapide se dit soucieuse de démocratisation en faisant baisser les prix pour augmenter les ventes, mais à quel prix ? » En faisant fabriquer leurs collections à l’étranger, ces entreprises sont en mesure de réduire les coûts tout en se déresponsabilisant des répercussions humaines et environnementales. Les conditions et le rythme effréné de surproduction et de surconsommation entraînent des impacts environnementaux et sociaux désastreux. La Terre n’est tout simplement plus capable de supporter de telles quantités de production et de mises au rebut.
C’est ici, poursuit-elle « qu’entre en ligne de compte le développement durable qui fait partie d’un tout circulaire divisé en trois paliers : les personnes, la planète et le profit. »
Conditions de travail immondes
Mais pour atteindre un degré de compréhension adéquat des coûts humains qu’entraînent toutes ces pratiques, il faut être informé. Il faut savoir qu’environ une personne sur six, sur la planète, travaille de près ou de loin dans l’industrie de la mode.
Savoir que chaque jour, dans les usines des pays en développement, des femmes font face à des injustices immondes. Dans plusieurs de ces pays, on constate que les postes d’ouvriers dans l’industrie sont occupés par des femmes tandis que les hommes exercent les emplois situés au sommet de la hiérarchie. On embauche principalement de jeunes femmes en raison de leur vulnérabilité et de leur meilleur rendement. Une étude réalisée dans les usines de Dacca, au Bangladesh, démontre que moins de 8 % des employées sont âgées de plus de 30 ans. On les choisit célibataires et sans enfants, donc sans soutien. Sans enfant, elles sont plus disponibles, productives et dévouées à la tâche. Certains employeurs exigent que les employées signent un contrat qui stipule qu’elles n’auront pas d’enfant. Certains vont même jusqu’à ordonner qu’elles prennent des contraceptifs oraux en présence de leur superviseur.
Le sort des enfants n’est guère plus enviable. Dans les pays en développement, de nombreuses manufactures textiles emploient des enfants en bas âge. L’Ouzbékistan, reconnu pour sa culture du coton, exige qu’à la saison des récoltes, chacun mette la main à la pâte. Le gouvernement va même jusqu’à demander la fermeture des écoles pendant deux mois. Des enfants à peine âgés de neuf ans travaillent sans relâche et en général sans compensation financière afin de satisfaire les dirigeants ouzbeks et la demande mondiale en coton.
Ces deux seuls énoncés sont suffisants pour remettre en question nos façons de consommer la mode. Bien sûr, certains objecteront que sans ces emplois, la vie de ces femmes et ces enfants serait probablement pire. Mais on devrait aussi réfléchir aux intérêts énormes qu’ont les multinationales de la mode pour ces ressources que représentent les immigrants (souvent entrés illégalement pour tenter de subvenir à leurs besoins donc toujours dans la peur d’être retournés dans leur pays d’origine), aux économies que permettent le versement de salaires de misère, les heures de travail interminables imposées, des conditions de travail insalubres et non sécuritaires, des emplois précaires, l’absence d’avantages sociaux, des dirigeants souvent impitoyables dans leur recherche de productivité, l’interdiction bien sûr de se syndiquer, et on en passe. Il faudrait nous interroger sur l’influence que pourraient avoir nos choix de consommateurs sur l’attitude de ces multinationales de l’abus, pour qui, somme toute, seul le profit compte.
Outre les manufacturiers, qui sont les responsables ? Ils sont nombreux, ajoute l’auteure. Ce sont les marques de modes, les détaillants, les gouvernements qui ne légifèrent pas ou qui ferment les yeux sur des pratiques malhonnêtes ou tout simplement inhumaines, simplement pour le profit. Et c’est nous-mêmes par notre incurie, nos pratiques de tout jeter alors que souvent, il s’agit de biens qui pourraient facilement être réutilisés ou recyclés.