Marie Provost : Portrait en coulisse

Michel-Pierre Sarrazin, Ski-se-Dit, Val-David, janvier 2020

Elle a l’énergie d’une pile atomique. Rien d’étonnant à ce que cette fée des herbes nourricières ait construit avec Clef des champs une entreprise applaudie sur toutes les tribunes d’affaires au pays. Et même au-delà, puisque Clef des champs a désormais des partenaires dans plus de vingt pays.

L’aventure de Marie, cette jeune femme attirée par la vie sauvage, au milieu des années tranquilles de la révolution québécoise, aurait pu être d’une tout autre nature. Car née en ville, entrepreneure en herbe dès l’enfance, Marie se trouvait déjà capable de toutes les expéditions : peu lui importait le voyage, pourvu que l’horizon soit vaste, finalement. Inspirée par son milieu, elle aurait pu choisir la sécurité d’une carrière professionnelle. Mais elle a, très tôt, choisi de suivre son inspiration, parfaitement confiante en ses capacités. En ses inspirations, devrions-nous dire, car elle était comme ça : inspirée.

Un matin, il y a une quarantaine d’années, dans la maison sans eau ni électricité qu’elle partage avec son chum, l’artiste Yves Gélinas, elle se lève avec une idée : se faire un jardin de plantes médicinales et nourricières. Mais on est en plein hiver. Comment faire? Sortir la scie, découper le plancher, vider la terre de la cave à la pelle et au seau. Rien de plus simple! Et c’est ainsi que l’histoire d’une entreprise peu commune a commencé : dans les rêves de Marie.

Aujourd’hui, en décembre 2019, nous parlons voyage, dans son vaste bureau du complexe bio-techno-naturo-logique qu’elle a voulu créer à Val-David. Comme la vie est un voyage…

L’été dernier, 3 000 km à vélo. Avec Laurier-Pierre, son compagnon. Depuis quelques années, ils ont parcouru comme ça, en pédalant, les petites routes d’Italie, de Bourgogne ou d’Espagne, là où personne qui n’est du pays ne passe. La vraie vie au pied carré. « Tu crées les conditions de l’expérience, en vélo. Quand t’as fait soixante ou cent kilomètres dans ta journée, t’arrêtes là où t’es rendu. Même s’il n’y a rien à manger (rires) […] Ça nous ramène à l’époque du voyage sac à dos de nos jeunes années, et c’est vraiment le fun. »

Prendre la clef des champs, toujours. Car enfin, depuis plus de quarante ans, Marie a fait le tour du monde plus d’une fois, pour trouver des herbes, rencontrer des gens ou trouver l’autre bout d’une route où la qualité de vie trace la ligne, tout simplement. Allumée par le mystère, rassasiée par la force des choses, les choses qu’elle imagine et celles qu’elle provoque.

Faire un jardin de montagne sur un caillou brut, étaler d’immenses jardins comme à Babylone mais sur la roche précambrienne de Val-David, fallait le faire. Et elle l’a fait.

 

Entreprendre, ça commence par une bonne assise :

« Si tu choisis bien ta base, si tu encourages ceux qui mettent leur cœur dedans, si tu nourris leur évolution, à un moment donné, c’est comme une roue : le bon attire le bon. Et les choses fonctionnent. À Val-David, à travers les artistes, les sportifs, nous avons trouvé notre monde.

Car à un moment donné, aussi, l’administration municipale a fait un choix qui est à la base de tout ce que nous sommes devenus : en protégeant ce que nous avions commencé avec le plein air et la culture, dans les années soixante-dix. Lorsque le maire Laurent Lachaîne et son équipe de conseillers ont eu la vision d’interdire la motoneige sur le territoire, ça a tout changé. Il fallait avoir une vision de l’avenir. Et le courage d’agir. »

Au départ, pour Marie, agir, cela s’appuyait sur l’idée qu’il était vital de sortir de la société… pour réinventer le monde. Tout simplement. Mais après 10 ans de vie en autarcie (« creuser un canal de 100 pieds et de 4 pieds de creux pour amener l’eau à une maison sans électricité, faire son bois pour se chauffer, trouver sa nourriture en forêt », etc.), les enfants grandissant… « je ne pouvais pas les priver d’entrer dans la société, explique-t-elle, même si j’aurais pu leur faire l’école… Ils avaient le droit, eux aussi, d’avoir des repères pour choisir leur vie. Mais aussi, la Clef des champs, ça avait commencé. Je vendais au Pommier fleuri, à Val-David, à Sainte-Agathe…

« Quand j’avais 19 ans, j’étais drop out. J’ai fait mon cours classique, la dernière année avant qu’on crée les cégeps où, pour tout dire, j’avais l’impression de perdre mon temps. Je suis allée vendre du popcorn au cinéma Outremont. Mais là, j’ai rencontré le monde des artistes. Et cela m’a ouvert un monde sur l’essentiel. Sur la beauté. Toutes les formes de la beauté. J’en suis devenue accro. Alors, quand je suis venue vivre avec mon chum en haut de la montée Gagnon, en plein bois, mon regard sur la beauté du monde s’est aiguisé. Ce fut une époque formatrice.

« Mais lorsqu’on aime entreprendre, qu’on a la fibre de l’entrepreneur, on bouge avant que tout soit clair. On décide de commencer. Même si tous les paramètres ne sont pas optimaux. Un bon entrepreneur, c’est quelqu’un qui réfléchit juste assez longtemps avant de se mettre en action. »

Et se mettre en action, Marie Provost sait comment le faire.