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Fermons les villages

Ianik Marcil, L’Itinéraire, Montréal, le 1er octobre 2019

Il y a au Québec, comme partout dans le monde, de nombreuses fractures sociales. Riches et pauvres, scolarisés et décrocheurs, malades et en santé, natifs et immigrants, d’origine européenne et Autochtones, propriétaires et locataires, francos et anglos… la liste est longue.

Parmi elles, je suis particulièrement sensible à une division profonde, celle qui résulte de l’incompréhension mutuelle entre les populations rurales et urbaines du Québec. La réalité perçue de part et d’autre est souvent, et malheureusement, très caricaturale. Un débat récent sur la vitalité des régions rurales l’a – hélas – montré une nouvelle fois.

En effet, alors que plusieurs d’entre nous étions en vacances, une firme de consultants, affirmait cet été que d’ici 2025, soit dans moins de six ans, 200 villages du Québec pourraient disparaître de la carte, à cause de la dévitalisation démographique. Cette prédiction hasardeuse a soulevé un tollé dans les régions, mais on en a peu entendu parler à Montréal.

 

Des prédictions audacieuses

Prédire l’avenir est par définition aventureux. L’évolution des sociétés et des communautés est sujette à de multiples facteurs, particulièrement leur démographie. L’immigration, les initiatives locales, le leadership des élus ou l’installation d’un employeur important, par exemple, peuvent changer radicalement la donne.

Prenons le cas du joli village de Saint-Camille, dans les régions des Bois-Francs, non loin d’Asbestos. Sa population est passée de plus de 1000 habitants au début du 20e siècle à moins de 500 il y a quelques années. Il y a une quinzaine d’années, cependant, les résidents ont pris leur destin en mains, comme on dit. L’ancien magasin général a été racheté par quelques résidents qui l’ont rendu à la communauté. Une coopérative a été créée pour en faire un théâtre où des activités culturelles, un espace hyper dynamique dans la région. Une coopérative de recherche et développement en agriculture innovante y a pignon sur rue. L’église a été rachetée par la municipalité, avec l’aide du gouvernement du Québec, pour en faire un espace de diffusion culturel et un lieu de tournage télévisuel. Résultat : la population est maintenant d’environ 525 habitants, une croissance tout à fait phénoménale pour un petit village qu’on croyait condamné. Son maire Philippe Pagé, élu il y a deux ans, est l’un des plus jeunes maires du Québec. Il est un jeune trentenaire et est la preuve même qu’une petite communauté rurale peut innover, se développer sur de nouvelles bases et se dynamiser.

 

Incompréhension

Malheureusement, nombre d’urbains ne comprennent pas ces réalités. Une grande partie des habitants de Montréal ou de Québec, par exemple, ont une image de carte postale du village de Saint-Camille, comme de Percé ou de Baie-Saint-Paul, au mieux. Des endroits où on est de passage pour quelques jours en vacances, où on achètera le petit produit du terroir du coin.

Sinon, on croit que leurs habitants vivent dans un univers parallèle, ancré dans une image d’Épinal issue du 19e siècle. Les femmes font leurs conserves à l’automne, les hommes conduisent leurs tracteurs aux champs. Je caricature la perception des urbains; mais voilà, leur perception est souvent une caricature. L’inverse est tout aussi vrai : les ruraux croient qu’il y a une mosquée à tous les coins de rues à Montréal, qu’on ne peut pas se faire servir en français sur la rue Saint-Denis et qu’il y a un meurtre à l’heure dans les ruelles de Hochelaga. Là aussi, bien évidemment, je caricature. Dans un cas comme dans l’autre, nous ne sommes pas imbéciles à ce point.

Reste que ces images portent un fond de vérité : une profonde mécompréhension de la réalité des uns et des autres. Or, cette mécompréhension n’est pas anodine. Elle crée des clivages politiques importants, à propos du développement économique régional, de l’occupation du territoire, de l’immigration, et quoi d’autre…

Le Québec est grand de territoire mais tout petit de population. Il est temps que nous réapprenions à nous parler et nous comprendre pour construire l’avenir.