Photo : Pixabay

En fonçant vers un mur

Sylvain Laforest, Journal Mobiles, Saint-Hyacinthe, mai 2019

Le microcosme qu’est Saint-Hyacinthe chante de concert le refrain de tous les pays occidentaux en invoquant un besoin urgent de main-d’œuvre. Comment concilier cette réalité immédiate avec les pronostics inquiétants qui prévoient que les robots feront tomber la moitié des emplois d’ici 10 ans ?

Dans  un  article  publié  par  le  magazine  Les  Affaires  en  mars  2018  et  relayé  par  plusieurs  médias, on annonçait : « Au Canada, 50 % des emplois seront perturbés par l’avènement des robots  intelligents  d’ici  la  fin  de  la  prochaine  décennie  […].  […]  “Un  trop  grand  nombre  de  jeunes  ont  été  formés  pour  des  emplois  qui  sont  voués  à  disparaître  alors  qu’ils  auraient  pu développer des aptitudes qui leur auraient été fort utiles à l’avenir”. » Voyez-vous le mur ?

 

La réalité maskoutaine

Cette  situation  qui  risque  de  frapper  de  plein  fouet  les  grands  centres  industriels  comme  Montréal  pourrait  épargner  Saint-Hyacinthe,  du  moins  à  moyen  terme.  Le  manque  de  main-d’œuvre actuel est bien réel et il est normal  qu’on  cherche  à  le  combler,  mais  tient-il  compte d’une vision à long terme ? Pour Pierre Rhéaume,  consultant  en  communication  très impliqué dans le domaine agricole depuis plusieurs  années,  la  robotisation  vient  combler  un  vide  sur  les  fermes  qui  en  arrachent  pour  trouver des employés. « Le Québec est l’un des endroits où on investit le plus dans les hautes technologies  au  monde.  On  a  donc  vu  l’apparition  de  plusieurs  robots  de  traite  dans  le  domaine de la production laitière, et aussi l’automatisation  de  l’alimentation  animale.  Mais  le  problème  principal  reste  le  coût  parfois  faramineux   de   certaines   technologies   inaccessibles  pour  plusieurs  fermes  familiales  »,  ce qui est encore le modèle principal des 1800 fermes  de  la  région.  Nous  ne  sommes  donc  pas à la veille de voir des tracteurs sans cabine semer les champs.

« Dans le secteur de la transformation, si on prend  l’exemple  d’une  grande  usine  comme  Nutri-Oeuf  qui  a  robotisé  certains  secteurs  de sa production, il reste que cette compagnie est  toujours  parmi  celles  qui  recherchent  activement  de  la  main-d’œuvre  »,  ajoute  monsieur Rhéaume.

Donovan St-Hilaire, de Saint-Hyacinthe Technopole, corrobore que, pour l’instant, l’intelligence  artificielle  et  la  robotisation  comblent  la force ouvrière en devenant un support à la productivité permettant aux PME de croître et de  prendre  de  l’expansion,  un  défi  compliqué  dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. «  Dans  le  secteur  manufacturier  maskoutain,  qui  est  l’un  des  plus  affectés  par  la  robotisation, il y a eu création de 397 emplois en 2018, contre 331 perdus, dont certains en raison de la  robotisation,  évidemment.  Toutefois,  nous  sommes  dans  un  bilan  positif  de  66  emplois  de plus que l’année précédente. »

Pour  Brigitte  Massé,  directrice  des  communications  à  la  ville  de  Saint-Hyacinthe,  la  force  de  la  ville  est  la  diversité  de  ses  secteurs  économiques,  avec  sa  légendaire  agriculture  en  tête, mais aussi son secteur industriel, la haute technologie,  le  développement  immobilier  et  ses  nombreux  commerces.  «  La  majorité  des  entreprises  de  la  région  sont  des  PME  avec  seulement quelques employés, et les investissements massifs que demande la robotisation mettent les employés à l’abri des pertes d’emplois  entraînées  par  l’intelligence  artificielle  de  manière  générale.  »  Elle  note  que,  dans  l’équation « besoin de main-d’œuvre immédiat vs  disparition  massive  des  jobs  au  profit  des  robots  »,  il  faut  aussi  ajouter  la  variable  non  négligeable du vieillissement généralisé d’une population  dont  les  baby-boomers  ont  tous  un pied, ou les deux, dans la retraite.

On construit un mur

Tôt  ou  tard,  l’intelligence  artificielle  et  la  robotisation  changeront  la  société  à  coup  sûr  :  puisqu’on  décuplera  les  capacités  de  production  pour  vendre  des  produits  à  des  gens  qui  auront de moins en moins d’emplois, quelque chose  devra  changer.  S’il  fallait  en  plus  qu’on  interdise l’obsolescence programmée qui nous oblige à toujours remplacer ce qui brise ou qui devient désuet sur un coup de vent, ça pourrait carrément devenir une drôle de situation. Or, s’il  est  difficile  de  faire  des  prévisions  exactes  de ce que sera l’état du marché du travail dans 10  ou  15  ans,  on  peut  déjà  tenir  pour  acquis  que Saint-Hyacinthe ne sera certainement pas la première ville à foncer dans le mur.