boris, caricaturiste

Travailler plus longtemps pour combien de temps encore?

Réal Boisvert, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières,  juin 2019

Rareté de la main-d’œuvre oblige, le ministre du Travail Jean Boulet se démène depuis quelques mois  pour venir au secours des entreprises en manque de travailleurs.

Fort de l’appui de la Fédération des chambres de commerce, Jean Boulet  a mis sur pied une grande corvée pour permettre aux employeurs de combler leurs besoins en accordant notamment des subventions aux entreprises qui recrutent des travailleurs de 60 à 64 ans.  Dans la foulée, Éric Girard déclarait lors de l’adoption de son premier budget comme ministre des Finances qu’il souhaitait maintenir les aînés au travail le plus longtemps possible, cela en offrant un crédit d’impôt pour prolongement de carrière. Pour le coup, il rappelait que 48,5% des personnes de 60 à 64 ans sont au travail au Québec comparativement à 54,8% en Ontario. Pour les personnes de 65 ans et plus, les taux d’emplois sont respectivement de 10,3% et 13,7%. « Les plus vieux travaillent donc moins au Québec », concluait-il.

Ce que l’on constate par ailleurs c’est que le marché du travail réclame aujourd’hui beaucoup de bras pour occuper des postes exigeants au plan physique comme les postes de préposés aux bénéficiaires, de manœuvres sur les chantiers, de camionneurs ou d’employés dans les abattoirs. Combien de personnes, passé 60 ans, compte-t-on rameuter pour occuper ces emplois? Si cela se trouve, nous sommes loin ici de la société des loisirs qu’on nous promettait naguère. Les progrès de la technologie et l’essor de l’économie marchande, plutôt que de permettre aux travailleurs une retraite bien méritée à un âge raisonnable, cherchent à les retenir jusqu’à un âge avancé. Pour ne citer qu’une statistique parmi tant d’autres,  rappelons que le taux d’emploi des hommes de 70 ans et plus au Québec est passé de 3,7% à 8,7% entre 2000 et 2018.

Comble d’ironie, cette poussée à l’emploi s’inscrit dans un contexte où la croissance pour la croissance n’a de cesse. Dans un monde aux ressources limitées, comment un tel rapport au travail peut-il encore être la règle? À quoi bon cette totale marchandisation du monde si ce n’est pour nous proposer des produits inutiles comme des jeans avec des trous sur les genoux, des bains à remous dans les avions privés, des souffleurs à feuilles pour remplacer les râteaux, des VUS, des pipelines et la multitude de tous les appareils à obsolescence programmée?

Les travailleurs ne sont pas en cause bien sûr. Ni le travail en soi. C’est l’économie de marché qui ne tourne pas rond. Personne n’y échappe. Et de plus en plus de gens nourrissent la bête de plus en plus longtemps. Tout ça pour un temps encore. Jusqu’à ce que la robotique et l’intelligence artificielle arrivent à le faire à la place des humains. D’ici une quarantaine d’années on devrait y arriver, selon des chercheurs du Future of Humanity Institute d’Oxford. Rendu là, sait-on jamais, si la machine devient supérieure à l’homme comme on le prétend, il  ne restera plus qu’à espérer que ce soit elle qui mette fin à cette course insensée.