Pomme de discorde

Laurence Rivard, Journaldesvoisins.com, Ahuntsic-Cartierville, été 2019

Prendre position publiquement dans le débat sur le véganisme et l’éthique animale, c’est s’aventurer en terrain miné : peu importe sa position, le camp adverse ne manquera jamais de déchirer sa chemise lorsque l’occasion se présentera.

Même à l’intérieur du mouvement écologique, les avis divergent : quoi choisir entre un steak bio et local et une pomme arrosée aux pesticides provenant de l’autre bout de la planète? À cela, je me demande si notre obsession à toujours chercher LA bonne réponse aux problèmes environnementaux liés à notre mode de vie nous a menés à un point où le débat sur la viande est devenu un frein à la transition écologique de notre agriculture. Les défenseurs de la viande soulignent souvent l’importance de ne pas mettre l’élevage industriel et l’élevage paysan dans le même panier. On s’inquiète des réponses proposées par l’industrie des biotechnologies comme ces boulettes de hamburgers véganes faites, entre autres, d’isolat de protéines de pois et de méthy-cellulose.

Est-ce vraiment mieux qu’une boulette de bœuf à un seul ingrédient? Ces inquiétudes sont tout à fait légitimes.

 

Pas la même question, mais la même réponse

Le problème, c’est que le véganisme n’est pas tenu d’offrir des solutions à ces inquiétudes. L’antispécisme n’est pas une réflexion sur notre alimentation, mais plutôt sur notre rapport aux animaux et à la considération que nous devrions avoir pour leurs souffrances.

Si l’on considère qu’à souffrance égale l’espèce à laquelle les individus appartiennent n’a aucune importance. Cesser de manger des animaux n’est alors qu’une mise en pratique de cette considération.

On a ainsi un camp qui considère que ce n’est pas la viande en elle-même, mais l’agriculture de masse qui est mauvaise pour l’environnement, tandis que l’autre camp souhaite que cesse la souffrance inutile de milliards d’animaux, notamment par la fin de l’élevage industriel tel qu’on le  connaît. Vous  voyez  la  ressemblance?

 

À qui profite « l’éternisation » d’un débat?

En l’absence de consensus, on a tendance à favoriser le statu quo.

Dans le débat sur la viande, même si les deux camps dénoncent les dérives de l’élevage industriel de masse, on insiste souvent bien plus sur la responsabilité individuelle du consommateur. La question devient alors : « Devriez-vous changer votre alimentation… ou pas? »

Pourtant, si l’on souhaite un changement radical dans notre façon de produire notre nourriture, les défenseurs de la viande éthique ont tout autant intérêt à encourager eux aussi haut et fort le boycott massif de la viande industrielle.

Il serait techniquement impossible de passer d’une agriculture de masse à une agriculture paysanne du jour au lendemain. La lutte à l’élevage industriel est ainsi une façon très efficace de réduire les émissions globales des gaz à effets de serre, tout en contribuant à une réduction importante de la somme de souffrances infligées aux animaux. Une fois cette première victoire gagnée, on pourra se questionner sur les méthodes de production maraîchère de masse. On peut même le faire tout en boycottant la viande industrielle!  Voilà la beauté de la chose : l’un n’empêche pas l’autre.

Alors, quoi choisir entre un steak bio et local et une pomme arrosée aux pesticides provenant de l’autre bout de la planète? À vous de voir. Mais l’absence d’une réponse claire à cette question n’est en réalité d’aucune importance pour l’instant.