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Abondance de jobs cheaps

Ianik Marcil, L’Itinéraire, Montréal, le 1er juin 2019

Depuis un an environ, on ne cesse d’entendre dans les médias que le Québec vit une pénurie de main-d’œuvre. Les représentants du patronat et de l’entreprise privée ne ratent aucune occasion pour déchirer à ce sujet leur chemise à la radio, à la télé et dans les journaux. À les entendre, on serait sur le bord de la catastrophe et une quantité phénoménale d’entreprises risqueraient de fermer leurs portes faute de personnel.

Une de celles-ci, Annie Faucher, tenancière d’un bar et vice-présidente de l’Association des gens d’affaires de Sherbrooke, a même affirmé à un journaliste de La Tribune que la situation était « épeurante», rien de moins. C’est qu’un restaurant sherbrookois fort prisé, Auguste, a dû réduire ses heures d’ouverture, ayant de la difficulté à recruter et à garder des travailleuses et des travailleurs en cuisine.

 

La vraie nature du problème

Le fait que certaines entreprises aient de la difficulté à recruter du personnel est incontestable. Que leur nombre soit croissant depuis quelques mois voire quelques années l’est tout autant. Mais les solutions que préconisent le patronat, c’est-à-dire augmenter la masse de travailleurs disponibles par l’immigration ou de réduire les soi-disant obstacles administratifs et législatifs à l’emploi vise la mauvaise cible.

Sauf quelques rares exceptions, il n’y a pas de pénuries de main-d’œuvre, il y a surabondance de jobs cheaps, si vous me permettez l’expression.

La très vaste majorité des emplois qui affichent des taux de postes vacants élevés sont des emplois peu payés, ou aux conditions de travail difficiles. Qu’est-ce qu’on retrouve au sommet de la liste ? Serveur-euses, vendeur-euses, conducteurs-trices de camions, cusinier-ères, commis en magasin.

Ça n’est donc pas de la main-d’œuvre spécialisée occupant des postes bien rémunérés qu’on a du mal à trouver. Il y a des exceptions pour certains métiers ultra spécialisés ou dans certaines régions aux prises avec des défis démographiques, comme la Gaspésie. Mais cela demeure des exceptions.

Plus loin que le bout de son nez

Dans le même article de La Tribune, le copropriétaire d’une autre excellente table de Sherbrooke, le O’Chevreuil, note qu’il est difficile de retenir les bons employés qui vont « aller travailler dans des gros services comme l’Université Bishop’s avec de très bonnes conditions ».

Voilà le mot-clef : de bonnes conditions. Pourquoi est-ce qu’on n’entend jamais les dirigeants d’entreprises comme Costco ou la Maison Simons se plaindre de pénurie de main-d’œuvre ? Parce que ces entreprises traitent et payent bien leurs employés. À titre d’exemple, on a appris ces derniers mois que le salaire le plus bas chez Simons serait désormais au-dessus de 16 $/h et qu’un-e caissier- ère chez Costco, après trois ans d’expérience, gagne 51 000 $. Et au-delà du salaire, ces employeurs sont reconnus pour bien prendre soin de leur monde, à tout le moins largement plus que certains autres commerces.

Le problème est donc ailleurs : les pleurnichards de la pénurie de main-d’œuvre ne regardent que leur nombril et ne comprennent pas que ce sont leurs pratiques de gestion qui sont le problème. Lorsqu’on traite bien les femmes et les hommes dont le travail permet de générer des ventes et du profit, on reçoit beaucoup en retour : professionnalisme, qualité du travail et, surtout, loyauté. Les dirigeants de Costco, Simons et les autres ne sont pas des socialistes : ce sont des gens qui veulent faire du profit et font des choix qui sont à leur avantage, comme ils le sont à l’avantage de leurs travailleuses et de leurs travailleurs.