François Charbonneau, Le Saint-Armand, Armandie, avril-mai 2019
À l’instar d’Antonio Stradivari, dit « Stradivarius », luthier italien de renom, Jean-François Beaudin, de Frelighsburg, a donné son nom à un instrument qu’il a perfectionné, le « traverso moderne » ou « traverso Beaudin ».
Par modestie, il écarte d’emblée cette comparaison, mais il n’en a pas moins modernisé la flûte traversière baroque. Il se définit comme spécialiste de musique baroque sur instrument d’époque. « Je suis un facteur de flûte et un flûtiste qui maintient sa technique de jeu par des pratiques quotidiennes, confie-t-il, pour pouvoir bien juger des instruments que je fabrique et pour donner des concerts lorsque l’occasion se présente. »
À Montréal, en 1976, il étudie l’interprétation de la musique baroque à la flûte à bec avec Jean-Pierre Pinson et est initié au traverso par Louise Courville. Puis, il étudiera ce dernier instrument en Hollande avec Barthold Kujiken (spécialiste de la musique baroque sur instruments anciens) ainsi que la flûte à bec avec Ricardo Kanji, autre sommité. Par une chance incroyable, il côtoiera le facteur australien Frederick Morgan, qui se trouvait en Hollande à cette époque suite à une invitation à donner des classes de facteur au Conservatoire.
Jean-François a aussi élaboré une technique de dessins de plans de traverso suivant le style de Morgan. Ses plans sont d’ailleurs reconnus dans le monde entier pour leur qualité. Plusieurs musées d’Europe ont fait appel à lui pour la réalisation de ceux de leurs plus beaux instruments.
En 1994, le Conseil des Arts du Canada lui octroyait une bourse pour le développement de son traverso moderne. Le très réputé flûtiste Masahiro Arita, fondateur du Tokyo Bach-Mozart Ochestra, fût le premier musicien internationalement reconnu à avoir adopté cet instrument.
Le créateur du « traverso Beaudin »
Un événement allait déterminer la carrière de Jean-François Beaudin. Alors qu’il assistait à un concert donné par le flûtiste de renom Bartold Kujiken, il remarqua qu’on pouvait difficilement l’entendre. « La flûte baroque a une sonorité veloutée et très douce, explique-t-il. » Que faire, avec nos connaissances actuelles, pour rendre cet instrument plus sonore ? « Cela m’a incité à améliorer l’instrument », ajoute-t-il.
Autre expérience marquante, lors d’un voyage en Inde, il constate que les flûtistes indiens du sud jouent d’une petite flûte en bambou très puissante, dont le tube intérieur possède un corps cylindrique et une tête conique, comme nos flûtes modernes. Le cône dans la tête donne la puissance tant souhaitée. Il en conclut donc que le cône doit être dans la tête, pour s’élargir ensuite jusqu’au corps cylindrique. Le concept du « traverso Beaudin » était né. Pour respecter l’esthétique baroque, il a doté sa flûte des mêmes doigtés et clés que ceux de l’instrument classique.
Bien que son instrument ait été adopté par des flûtistes professionnels, il est confronté à un dilemme. Ayant reproduit de nombreuses flûtes d’époque et dessiné les plans de quantité d’entre elles, il fait face à des puristes qui prônent l’authenticité, le maintien de la flûte d’époque et ce, même si on l’entend mal dans les salles accueillant cent auditeurs ou plus. Imaginons un orchestre composé d’une flûte d’époque, de trois violons, d’un violoncelle et d’une contrebasse : on n’entend pas assez la flûte. Il fallait donc faire quelque chose, quitte à froisser certains puristes.
Le dessinateur de flûtes
Tout dans la vie de Jean-François Beaudin le conduit où il est. Il vient d’une famille d’artistes ; le père est photographe, la mère, peintre et musicienne à ses heures. De son côté, il aime travailler le bois, fabriquer des petits voiliers, reproduire divers objets, bricoler, etc. À l’école, il s’entiche de la flûte à bec. Plus tard, dans le cadre de ses études de musique au département de musique ancienne de l’Université de Montréal, il fera divers stages et ateliers en Europe (La Haye, Paris, Berlin, Édimbourg) où il rencontrera des personnes extraordinaires et y vivra des expériences enrichissantes et extrêmement profitables.
En 1986, lors d’un séjour d’études en Australie chez le grand facteur Frederick Morgan, il perfectionne ses dessins de flûtes anciennes. Ses plans et croquis se vendent aujourd’hui à travers le monde, notamment celui de la fameuse flûte « Rottenburgh » de Kujiken, qui est en grande demande. Il a d’ailleurs été le premier à la dessiner. Après avoir découvert les plans des flûtes de la collection Miller à la bibliothèque du Congrès de Washington, il les reproduit, dont le fameux « traverso Quantz » de Frédérik II, roi de Prusse. Tout récemment, des chercheurs de Turin, en Italie, lui ont commandé le plan de la Rottenburgh afin d’en valider la reproduction en nylon effectuée sur imprimante 3-D !
Installation à Frelighsburg
Qu’est-ce qui a incité cet artiste et artisan à s’établir dans le coin ? Ses parents y ont déjà habité et sa conjointe, Iolande Cadrin-Rossignol, elle-même cinéaste et pianiste, y avait un chalet. Arrivés en 1991, ils résident désormais au village.
« La vie à la campagne est inspirante pour un artiste et idéale pour un artisan », nous lance-t-il, fort à propos. En outre, il se rend à Boston tous les deux ans afin de participer à une exposition sur les musiques anciennes. Autrement, il continue de perfectionner son art et de maintenir sa présence au niveau international, notamment grâce à l’Internet.