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Pierre Lahoud et son devoir de mémoire

Sylvain Delisle, Autour de l’île, Île d’Orléans, mars 2019

Lorsque Pierre Lahoud mentionne son devoir de mémoire, il serait simpliste d’y voir seulement l’œuvre de l’historien qu’il est. Il serait facile de n’y voir que le désir de préserver et de conserver des connaissances pour le futur. Pourtant, le devoir dont il s’est investi est beaucoup plus vaste. Il s’agit de l’œuvre de sa vie. Presque en catimini, il nous fait don des outils pour suivre notre évolution. Avec son devoir de mémoire, il nous charge de voir, de comprendre, mais surtout d’apprendre.

Son domicile est une maison ancestrale de Saint-Jean. L’état de celle-ci témoigne du souci de préservation de celui qui l’habite. Pierre Lahoud est un véritable passionné et c’est avec entrain qu’il parle de sa résidence. Dans son récit, l’état actuel de celle-ci n’est qu’accessoire. C’est sur son évolution qu’il s’attarde. C’est sa transformation qui le fascine. On apprend ainsi tout le travail de restauration qu’elle a connu. De bâtiment presque abandonné servant de garage de fortune pour un tracteur de ferme elle est devenue une maison pleine d’un charme authentique. Sa maison est à la fois son refuge et son musée.

Isolée au milieu d’une terre, sa demeure respire le calme. Celui-ci n’est troublé que sporadiquement par le passage de l’un de ses chiens. Ses amis reconnaîtraient, couchées au plancher, les deux stars de nombreuses photos. C’est dans ce royaume de quiétude que Pierre Lahoud a rédigé nombre de ses livres. Prolifique, il est l’auteur de plus de trente livres d’histoire. Il est également le créateur et le directeur de la collection Curiosité. Celle-ci permet aux lecteurs de découvrir une région spécifique du Québec à travers 100 curiosités qui lui sont propres.

Assis à sa table de cuisine, Pierre Lahoud parle également de son parcours professionnel. Historien de formation, il a travaillé durant toute sa carrière au ministère des Affaires culturelles et des Communications. Il y fut entre autres responsable de l’arrondissement historique de l’île d’Orléans. Il a occupé ce poste pendant de nombreuses années. «J’y étais attaché, j’avais noué des relations de confiance avec les maires et tout le monde était content parce que ça marchait bien à l’île», dira-t-il, avec un sourire et une emphase sur le temps de verbe (passé). C’est à l’emploi du ministère, lors de la réalisation du macro-inventaire du patrimoine québécois, vers la fin des années 70, qu’il réalisera ses premières photographies aériennes. Personne, ni même lui, ne pouvait alors savoir où ce premier envol le mènerait.

 

De passion à devoir

Il faut gravir les marches de la maison de Pierre Lahoud pour réellement comprendre. Des boîtes à l’allure presque singulière sont empilées le long d’un mur. Quelques-unes laissent cependant entrevoir leur contenu: des diapositives. C’est en inspectant l’une d’elles de plus près que l’on saisit enfin l’ampleur de la tâche accomplie. Vingt diapositives par feuille… chaque boîte est bien remplie, chaque boîte contient des feuilles et des feuilles de diapositives; elles sont cordées tels des dossiers dans un classeur. Impossible de les dénombrer tant il y en a. En discutant avec Pierre Lahoud, on apprendra que c’est plus de 100 000 diapositives qu’il conserve chez lui. La révolution numérique ayant également fait son œuvre dans cette maison ancestrale, la collection de Pierre Lahoud compte également plus de 700 000 clichés en version digitale. L’étage de sa maison renferme un véritable trésor, travail d’une vie.

Depuis 40 ans, Pierre Ladoud sillonne le ciel du Québec, appareil photo à la main. Il est un historien qui fait de la photo et ce n’est que dans une optique historique que sa démarche peut s’apprécier à sa juste valeur. Des airs, Pierre Lahoud a sciemment capturé l’évolution de tout le Québec.

Chaque photo est importante, mais ce qu’il offre à tous les chercheurs, c’est la capacité de remonter le temps et d’observer les changements à la grandeur de la province. À vol d’oiseau, ses photographies permettent de voir et surtout de comparer et de suivre l’évolution de notre territoire. Urbanisation, déforestation, érosion; sa collection est l’enregistrement des quarante dernières années.

Il suffit d’écouter parler Pierre Lahoud pour sentir toute la passion qui l’habite et comprendre le devoir de mémoire qu’il s’impose. Son passetemps a toute la rigueur d’un travail. Du haut des airs, il a délibérément documenté tout le Québec.

Bien qu’il ne soit aucunement question pour lui d’arrêter la photographie aérienne, 2019 sera une année charnière pour l’historien. Convaincu du bien-fondé de sa décision, PierreLahoud ne cache cependant pas le déchirement qu’il éprouve. C’est que la maison lui semblera bientôt bien vide. Culmination de l’oeuvre de sa vie, il cédera, ce printemps, sa collection à Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Ses quelque 800 000 photos aériennes du Québec seront ainsi préservées pour le futur. À cette société qu’il a tant observée, il fait don de son histoire. Après y avoir œuvré durant 40 ans, il lui fait don de son devoir de mémoire.