Véronique Morin

On sort la fille du rêve, mais on ne sort pas le rêve de la fille

Daniel Rancourt, Le Félix, Saint-Félix-de-Kingsey, février 2019

Véronique Morin, Docteure Morin ou Madame Morin?… Je ne sais pas comment la nommer. Simplement Véronique, parce qu’elle semble simple, pas trop compliquée, la voisine au village, la jeune femme originaire de Saint-Félix-de-Kingsey en voie d’accomplissement et d’épanouissement.

Docteure parce qu’elle est médecin, détentrice d’un doctorat en médecine donc docteure, en plus d’y avoir ajouté une maîtrise en santé publique. Madame Morin parce qu’elle est l’épouse de David Saint-Jacques et mère de trois enfants, Pierre, Léon et Sophie, âgés respectivement de 7, 5 et 2 ans. Ah oui, faut vous dire si vous ne le savez déjà : David Saint-Jacques est cet astronaute canadien présentement à bord de la station spatiale internationale (ISS) depuis le 3 décembre dernier pour une mission de six mois. David Saint-Jacques est aussi astrophysicien, ingénieur, médecin, pilote d’avion et désormais de vaisseau spatial, polyglotte, plongeur, athlète, musicien…

On sort la fille du village, mais on ne sort pas le village de la fille Fille de Dominique Caillé et de Richard Morin (ce dernier étant ex-copropriétaire de L.C.N. avec son frère Denis), Véronique est née et a grandi à Saint-Félix-de-Kingsey, sur la rue Provencher. «La campagne, derrière, et le village devant. J’ai des souvenirs d’une enfance surréaliste à Saint-Félix, d’une grande liberté : on a fait des labyrinthes dans des champs de maïs, on jouait dans le bois le soir… Souvenirs d’une grande sécurité aussi : même si je ne connaissais pas tous les adultes, j’avais l’impression que tous les adultes me connaissaient. Ce sont des expériences uniques et très formatrices pour un enfant et cela devient une fondation importante pour la vie adulte. Je n’oublierai jamais les soirs où j’ai passé l’Halloween à Saint-Félix : c’était comme une grande réunion de famille, où tous les voisins lèvent les masques pour deviner à qui on ressemble le plus !

Ma famille était impliquée dans la communauté. Mes parents ont été des modèles pour moi et ils m’ont transmis des valeurs qui me sont importantes. La confiance : les gens sont bons et on peut leur faire confiance ; l’entraide, la solidarité et l’implication communautaire ; travailler fort et participer à l’essor de la communauté. En mettant à contribution les talents de chacun, on peut accomplir de grandes choses ensemble ! »

Après ses études collégiales en sciences au cégep de Trois-Rivières, Véronique pense se destiner à l’environnement. « La protection de la nature est importante. En même temps, j’éprouvais le besoin de découvrir le monde, me confronter aux réalités souvent plus difficiles des gens d’ailleurs. » À 18 ans, Véronique s’envole pour le Népal où elle travaille pendant six mois dans un orphelinat : « Les contacts humains m’ont nourri au Népal. Soigner l’environnement, oui, mais soigner l’environnement humain. »

À son retour, elle entreprend des études en médecine à Montréal. Au cours de sa formation, elle va en Amazonie et dans les Andes argentines travailler en santé publique auprès de communautés autochtones. « J’étais curieuse, ces expériences étaient nourrissantes et un nouveau plan de carrière est apparu… C’est toujours confrontant d’être un étranger, une étrangère, dans une autre culture et quand nous sommes confrontés à des difficultés, on apprend beaucoup sur nous-même. »

Pendant huit ans, Dre Véronique Morin sera médecin dans les communautés inuites de la baie d’Hudson. D’abord à l’hôpital de Puvirnituq, puis à Ivujivik, le village le plus septentrional du Québec, et à Inukjuak. « Évacuations médicales d’urgence, accouchements ou l’accompagnement de personnes mourantes, j’étais comme le médecin du village de l’ancien temps… »

 

Le Nord

« On garde le Nord en nous. Au départ, c’est très exotique et on est intimidés par la réalité sociale fort différente de la nôtre, plus difficile aussi… On connaît des gens, on apprend les coutumes, on découvre une toute autre culture. La réalité nous confronte quotidiennement et nous amène à questionner nos propres valeurs, à changer de perspectives et à comprendre et à adopter certaines valeurs du Nord. J’ai travaillé avec des sages-femmes inuites et elles m’ont appris énormément. Appris des choses comme médecin, mais elles m’ont aussi considérablement aidée alors que j’étais enceinte. Nous avons beaucoup à apprendre des Autochtones, des manières de soigner, adopter une attitude qui permet la guérison. Je suis devenue passionnée de santé autochtone.

Dans le Nord, on oublie le stress de la ville, l’empressement, les pressions sociales, la performance, les frustrations du Sud… Les Inuits vivent dans le moment, ici et maintenant. On fait les choses au moment où elles doivent être faites. C’est comme ça. Et on reste accro à ça. Les enfants gardent des souvenirs extraordinaires du Nord. »

 

Clinique ou publique ?

Après huit ans de médecine clinique (accueillant, soignant et traitant des individus), Véronique s’oriente vers la santé publique. « J’aime dire à la blague que la santé publique, c’est comme Spiderman : nous sauvons des vies dans l’ombre. La santé publique, c’est la santé de toute la population : c’est la promotion de la santé, l’éducation, la sensibilisation, mais aussi la prévention comme par exemple, le contrôle des éclosions de maladies contagieuses… Cela touche aussi aux politiques, aux statistiques, aux communications… Que ce soit l’exploration spatiale ou la santé publique, nous aimons, dans ma famille, les grands défis. Dans les deux cas, des défis trop grands pour nous. Il s’agit de travailler à trouver les moyens pour répondre à ces défis, mais surtout, de le faire avec une équipe, avec tout un village.

Moi, mon rêve, c’est d’éradiquer des maladies, au même titre que David (son mari astronaute) a rêvé d’aller dans l’espace. C’est là que les valeurs acquises se révèlent : confiance dans les gens ; implication et solidarité ; travailler fort et mettre les talents de chacun à contribution. » « David dit que nos rêves sont des guides. Moi, mon rêve c’est de redonner à la communauté, que ce soit la petite communauté de Saint-Félix ou la grande communauté humaine sur notre planète. »

 

Est-elle inquiète ?

Est-elle inquiète de voir son homme à bord d’un frêle esquif dans l’espace, tournant autour de notre terre ? « Nous sommes dans ce monde-là depuis maintenant neuf ans et j’ai appris que la communauté de l’espace, la NASA, les contrôleurs, les techniciens, etc., forment une communauté tissée serrée, une famille où la sécurité des équipages et la survie des astronautes sont la priorité.

Les risques sont réduits au minimum et je ne suis pas inquiète. » « Les astronautes sont très occupés, mais David et moi nous parlons tous les jours. Il s’assoit devant “ la coupole ”, une espèce de hublot avec une vue superbe sur la Terre, et nous parlons. De temps en temps, il s’exclame pour me parler de ce qu’il aperçoit : le delta du Nil la nuit, ou autre chose… Tout ce que nous vivons, ensemble lui et moi, toutes ces expériences nous amènent à voir la vie selon de nouvelles perspectives… Et nous ne savons pas encore où cela va nous mener. »

Véronique Morin conclut l’entretien (via Skype) en transmettant ses meilleures salutations à toute la population de Saint-Félix-de-Kingsey.