PHOTO : MARIO ALBERTO REYES ZAMORA

Oui, la pauvreté et l’itinérance existent à Laval

Jean-Claude Nault, camelot métro Champs-de-Mars, L’Itinéraire, Montréal, le 15 janvier 2019

« Je ne le cache pas, je suis un enfant du bien-être social : ma mère était veuve avec cinq enfants, confie le maire de Laval, Marc Demers, au cours d’une entrevue exclusive à L’Itinéraire. J’ai donc une sensibilité aux gens qui sont vulnérables. Si je n’avais pas eu l’aide de la société, jamais je n’aurais pu offrir à mes enfants la qualité de vie qu’ils ont eue. Je pense qu’il faut s’entraider. On juge une société à la façon dont elle traite les gens les plus vulnérables. »

Laval et précarité : deux mots qu’on n’est pas porté à associer. La troisième ville du Québec jouit certes d’une relative prospérité. Les taux de chômage et d’aide sociale sont bien inférieurs à ceux de Montréal. Ce qui ne signifie pas que la précarité n’existe pas. En plus de son histoire familiale, le maire en a pour preuve : « Après avoir travaillé 30 ans comme policier dans les rues de la Ville, je peux vous dire que la pauvreté et l’itinérance existent à Laval. »

Au moment de notre passage à l’hôtel de ville de Laval, Marc Demers sortait d’ailleurs d’une rencontre avec la nouvelle ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest. « Je lui ai expliqué qu’il y a environ 50 000 personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté à Laval. Il y a plus de 1000 personnes sur les listes d’attente pour avoir des logements abordables. » Même si à Laval, l’itinérance se fait plus discrète.

La précarité des personnes est concentrée dans certains quartiers. « Évidemment, il y a Pont-Viau, Laval-des-Rapides et Chomedey, explique-t-il. Mais il y a aussi Saint-François et Sainte-Rose où il y a une soupe populaire. J’ai habité Pont-Viau longtemps. J’ai patrouillé le coin longtemps comme policier et je connais bien mon territoire. J’ai aussi fait beaucoup de bénévolat à Laval-des-Rapides, au Relais communautaire. Durant cinq ans, mon épouse a siégé à son conseil d’administration. »

 

Une époque révolue

Sourire en coin, celui qui préside aux destinées de la Ville depuis cinq ans ne se prive pas d’ailleurs du plaisir de souligner la différence d’approche avec son sulfureux prédécesseur, Gilles Vaillancourt. « La pauvreté a été ignorée par les administrations précédentes, souligne-t-il. Cette époque est maintenant révolue. »

« Avec les organismes communautaires, nous avons fait l’inventaire et posé des gestes concrets, assure-t-il. Mais il faut continuer; c’est une bataille quotidienne. »

Le maire est ainsi fier de son Unité d’urgence sociale. « Sauf erreur, on est la seule grande ville qui a une unité d’urgence sociale. Il y a des gens qui sont itinérants ou un peu perdus et qui ne savent pas à quelle porte cogner le soir ou la fin de semaine. L’unité va en prendre soin pendant quelques jours et les référer au bon endroit. Une bonne partie de ces gens sont référés par les services de police qui les ont vus dans la rue en situation de précarité. »

La Ville a aussi mis sur pied un service téléphonique 211. « Si vous êtes une personne dans un état de vulnérabilité, vous êtes désemparés, vous ne connaissez pas les réalités du territoire, vous avez besoin d’un service, vous êtes une personne âgée, ou vous êtes une personne issue de l’immigration et ne parlez pas français ou anglais, il y a quelqu’un qui va vous répondre, qui va vous mettre en contact avec l’un des 600 organismes communautaires sur le territoire. » La Ville compte d’ailleurs sur un réseau d’une soixantaine d’interprètes.

 

Pénurie de logements sociaux

La Ville se félicite aussi de sa politique de développement social. « Nous sommes probablement la seule région administrative au Québec qui a développé une telle politique. Nous avons réuni les principaux joueurs : la Ville, le Centre intégré de santé et de service sociaux (CISSS), les deux commissions scolaires, et les organismes communautaires. On a fait un forum et on s’est dit : on s’engage collectivement à travailler tous ensemble sur les problèmes sociaux sur notre territoire. On a signé une entente. Chacune des parties doit fournir des gestes, des actions concrètes et accompagner ses partenaires. »

Mais Laval manque toujours cruellement de logements sociaux. Deux chiffres : l’Office municipal d’habitation de Laval gère à peine 2406 logements sociaux pour une population de 423 000 personnes. C’est tout dire de l’importance du projet de revitalisation en cours dans le secteur Val-Martin du quartier Chomedey. Au terme de la première phase, 357 unités de logement social seront bâties. Depuis juillet, 124 unités sont en cours de construction grâce à un investissement de 18,2 M $ des paliers supérieurs de gouvernement.

« On va être capable de tripler le nombre de logements, expliquele maire Demers. Ce seront des logements certifiés LEED et de belle qualité. Plus de la moitié seront en vente libre et l’autre partie sera réservée pour du logement à prix abordable. On ne veut pas créer des ghettos. Les gens qui passent une mauvaise période dans leur vie pourront vivre dans un environnement favorable. » « Dans le projet Val-Martin, on va plus que tripler le nombre de logements qui existaient, dont 55 % étaient abandonnés, préciset-il. Pour la seule phase 1, ce sera environ 80 M $ d’investissements provenant des trois paliers de gouvernement. »

 

Le statut de ville mandataire

Depuis quelques années, Laval revendique le statut de ville mandataire. Pourquoi ? Chaque année, à peine 30 % à 40 % des 3,6 M $ versés annuellement à la Communauté métropolitaine (CMM) de Montréal pour la construction de logements sociaux revient sur l’île Jésus.

« Les gestes qui ont été posés par la Ville depuis quatre ans sont phénoménaux au niveau du développement social. Nous, ça fait trois ans qu’on revendique le statut de mandataire pour pouvoir faire plus au niveau du logement social. »

« On a aussi posé des gestes assez concrets, ajoute-t-il. Dans notre budget, on met 750 000 $ pour avoir des réserves monétaires afin d’accompagner les différents projets de logements sociaux qui sont normalement préparés par des organismes communautaires. Et on donne une somme de 50 000 $ à L’Aviron pour aider les gens qui sont sans logis. »

Dans son budget 2019 déposé en décembre dernier, Laval a réservé 7,2 M $ pour son Programme d’aide complémentaire au programme AccèsLogis (PACAL) et un montant supplémentaire d’environ 3,3 M $ pour un total de 10,5 M $ de financement additionnel pour tous les projets de logements sociaux et communautaires lavallois.

 

Un coup de pouce attendu

Les ressources en hébergement pour les itinérants ne suffisent pas à répondre aux besoins lavallois, se plaint le Réseau des organismes et intervenants en itinérance de Laval (ROIIL) qui compte huit organismes membres (voir encadré). Le ROIIL voudrait bien que la Ville accélère la cadence dans le cas notamment, des projets des Habitations L’Envolée, de la Maison du peuple et de la Maison Marie-Marguerite pour femmes.

Mais le maire ne souhaite pas commenter publiquement l’évolution de ces trois projets. « Plusieurs projets nécessitent une participation financière des gouvernements supérieurs sur laquelle la Ville n’a aucune prise, explique M. Demers. Nous, on intervient en soutien.

Lorsque les projets seront menés à terme, la Ville répondra “ présente ”. » Sans le dire, la Ville se met aussi à l’abri des critiques. « Il est arrivé que Laval, comme d’autres villes, investisse des sommes d’argent ou cède des terrains et que finalement, pour toutes sortes de raisons, le projet ne se concrétise pas. Avant de céder, il y a donc des conditions préalables. Parce qu’on gère de l’argent public, je ne veux pas vous transférer 25 000 $ ou 50 000 $ et que le projet ne lève jamais. Après ça, les gens vont dire : on sait bien, Marc a donné ça à son chum. »

 

Une présence discrète

Certains organismes se plaignent de la présence de la Ville, jugée trop discrète, lors de la dernière Nuit des sans-abri. La conseillère du district Concorde-Bois-de-Boulogne et responsable du dossier à la Ville, Sandra Desmeules, était pourtant présente à la conférence de presse, souligne le maire. Et le conseiller de Laval-les-Îles et président de l’Office municipal d’habitation, Nicholas Borne, a participé lui-même à la marche.

« J’ai assisté à la marche à plusieurs occasions dans le passé, renchérit le maire. Je pense que je peux aisément prétendre être l’un des maires les plus disponibles sur le terrain. »

 

Investir dans les infrastructures

Les organismes de lutte à l’itinérance souhaitent un financement plus soutenu de Laval. Marc Demers explique pourquoi il ne peut pas financer le fonctionnement quotidien des organismes.

« Il y a plusieurs programmes qui existent, dit-il. L’an dernier, plus de 1,3 million $ ont été distribués à des projets en itinérance (par les pouvoirs supérieurs). Et ça va être la même chose en 2019. Mais pour ce qui est du développement social, on évite normalement de financer des budgets d’opérations. Cela relève plus du ministère de la Santé et des Services sociaux. Nous, on va plutôt investir dans les infrastructures ou dans un budget de démarrage. On ne peut pas financer sur une base régulière. Ça relève du Ministère. »

Laval pourrait-elle offrir des laissez-passer d’autobus aux citoyens en situation de précarité, comme elle le fait pour ses citoyens plus âgés ? « On a évalué toute la notion du transport social, explique le maire. Avec les aînés, c’est plus facile à gérer. Quand ils ont 65 ans, c’est vérifiable. Pour les autres clientèles, les étudiants par exemple, ça varie et ça suppose des gros frais d’administration et de contrôle. »

« Ceci dit, oui, on offre notamment à l’organisme Jeunes au travail dans Auteuil, un certain nombre de laissez-passer. Dans Saint- François, le service d’autobus est défaillant. Alors vous appelez un taxi et vous payez le prix du transport en commun. Il y a des promotions qui sont faites par la Société de transport de Laval pour venir en aide, mais ce sont des programmes ponctuels. »