Photo : Simon Normand

Ginette Reno à cœur ouvert

Isabelle Raymond, L’Itinéraire, Montréal, le 15 décembre 2018

Le 16 novembre dernier, Ginette Reno venait à la rencontre de nos camelots. Une visite très attendue, qui a suscité une vive excitation dans les jours précédant sa venue. Retour sur cet événement et entrevue avec la grande chanteuse québécoise. Les camelots et les employés attendaient avec impatience l’arrivée de Ginette Reno au café de L’Itinéraire. On était tous très enthousiastes par sa visite au point où on l’attendait à la porte. Josée, la rédactrice en chef du magazine, nous a demandé de s’assoir parce qu’on était tous entassés devant l’entrée, surveillant son arrivée, pour être les premiers à l’accueillir. Lorsque madame Reno est arrivée, on s’est tous levés pour lui serrer la main. Comme il faisait froid cette journée-là, elle était emmitouflée dans son manteau et elle avait un gros foulard enroulé autour de son cou. Étant donné l’imposante chaleur humaine qu’on retrouve à L’Itinéraire, Josée lui a conseillé d’enlever son manteau. Puis, on a fait une photo de groupe. « Sexe ! » s’est écriée madame Reno pour que tout le monde ait un beau sourire. Ensuite, on lui a proposé de faire une visite de nos locaux avant de débuter l’entrevue.

Trois camelots avaient été choisis pour assister à l’entrevue : Diane Curadeau, Jean-Claude Nault et Mario St-Denis. Diane, une grande fan de Ginette Reno, lui a montré une photographie de sa collection de « longs jeux » de la chanteuse. Chacun avait la possibilité de lui demander une question, mais nos trois camelots voulaient surtout rencontrer la chanteuse.

 

Ce n’est pas un secret, vous venez d’un milieu pauvre. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque ?

Comme je viens de loin, je suis un être qui a fait beaucoup de travail sur moi. Je suis un être privilégié d’avoir justement connu, un milieu comme ça. Le plus beau souvenir que, j’ai, c’est de s’en sortir. Parce que c’est dur de vivre dans un milieu qui est très pauvre. Mais j’ai mangé à chaque repas, comme vous pouvez le voir. Mon père a travaillé fort. Les plus beaux souvenirs, c’est l’amour que j’ai senti de mon père. Les moins beaux souvenirs, c’est à quel point il était difficile de vivre dans une famille dysfonctionnelle. Mon père était alcoolique, ma mère était maniaco-dépressive. C’était difficile.

 

À quoi ressemblaient vos Noëls quand vous étiez enfant?

On ne vivait pas Noël chez moi, on n’avait pas de sapin, pas de cadeaux. On était tellement pauvres. Mais, on allait à la messe de minuit. Lorsqu’on revenait, on mangeait un sandwich au jambon et on se couchait. Mais ma mère faisait quand même des tourtières. Elle faisait bien à manger. Les Fêtes, on les célébrait chez mes grands-parents paternels. Là-bas, il y avait un sapin, des cousins et des cousines, on dansait et on avait du fun… avec le gramophone !

 

C’est une fête importante pour vous?

C’est l’une des fêtes les plus importantes pour moi, parce que c’est la naissance de Jésus. C’est de se souvenir que quelqu’un est venu ici pour nous parler d’amour. À chaque fois que Noël arrive, ce n’est pas les cadeaux qui sont importants. C’est une période de reconnaissance, de renaissance. C’est un moment extraordinaire de se retrouver en famille. Une fête d’amour. Je trouve cela beau et féérique. Comme à Paris où les vitrines de magasins à Noël et les Champs-Élysées, c’est vraiment beau ! Je décore ma maison comme une folle ! Je suis comme en prière lorsque je fais mes décorations. J’aime installer mes crèches et j’ai aussi des anges partout dans la maison.

 

La Fondation Ginette Reno vient en aide aux femmes et aux enfants victimes de violence. Pourquoi cette mission est-elle importante à vos yeux ?

Parce que j’étais une femme battue. C’est la chose qui m’a touchée le plus, donc je me suis dit, pourquoi pas aider d’autres femmes ? Je vais dans les centres pour femmes battues, pour les aider et les écouter. Lorsque je vais les voir, je n’ai pas le droit de connaître l’endroit où elles sont, je dois avoir les yeux bandés. Pour aider ces femmes, il faut beaucoup d’argent. Je fais des concerts bénéfices et il y a aussi les donateurs. La fondation a distribué plusieurs millions de dollars.

 

Quels sont les artistes québécois que vous écoutez en ce moment ?

Hier, j’ai écouté l’album de Denis Lévesque. Ses textes sont vraiment beaux, pis y chante bien. Dernièrement, j’ai aussi écouté du Jean-Pierre Ferland et du Natasha Saint-Pierre.

 

Vous venez de lancer votre 40e album. Ce dernier a atteint la première place des ventes. Est-ce que cela vous touche? C’est quoi la recette de votre succès?

C’est toujours touchant de voir qu’à 72 ans, on est en première place au Canada, en avant de beaucoup de monde que j’aime et que j’adore. Je pense que le secret est dans l’humanité, que ce n’est pas seulement la chanteuse qu’on aime, y a aussi une femme en dedans d’elle qu’on apprécie. On n’écoute pas seulement sa voix, on écoute ce qu’elle a à dire. Et j’ai des choses à dire. Le résultat de tout cela est que le public a évolué avec moi, a grandi avec moi. Il est toujours aussi fidèle après 60 ans. J’ai commencé ma carrière le 13 septembre 1959.

 

Qu’est-ce qui vous a amené à vouloir faire carrière dans le domaine de la chanson?

Je n’ai jamais douté une seconde : lorsque j’étais toute jeune – je devais peut-être avoir six ou sept dans – je disais aux autres qu’un jour je deviendrais une grande chanteuse. Je n’avais aucun doute et je n’ai jamais voulu faire rien d’autre.

 

À quel moment vous êtes-vous dit, ça y est, j’ai réalisé mon rêve ?

On ne réalise jamais tout à fait son rêve. On en a toujours toute sa vie. Les rêves changent, les désirs et les besoins changent aussi. C’est à 28 ans que je me suis dit que j’étais une vraie chanteuse. Je suis comme tout le monde, j’ai plusieurs rêves. Il est plus facile d’aller à la conquête du monde, que d’aller à la conquête de soi. C’est très difficile d’aller à la recherche de son être ; qu’est-ce qu’on veut, qu’est-ce qu’on aime, avec qui on a envie d’être…

 

L’un des moments marquants de votre carrière, c’est lorsque vous avez interprété la chanson de Jean-Pierre Ferland Un peu plus haut, un peu plus loin devant 250 000 personnes réunies sur le Mont Royal pour célébrer la Fête nationale du Québec en 1975. Pouvez-vous nous parler de cet événement historique ?

À ce moment-là je vivais à Los Angeles, je venais de faire un concert à Toronto et je n’avais pas dormi depuis trois jours. C’était un grand moment pour moi, parce que c’était un cri d’amour que je lançais sur scène. Et ce soirlà, j’ai eu un standing ovation qui a duré 11 minutes. C’était tellement touchant, je ne le croyais pas. J’ai demandé à Dieu si je méritais vraiment ça. Je me demandais pourquoi, à chaque fois que je vivais des moments comme ça, j’étais toute seule : je n’avais pas de chum à l’époque. Quand je vais être morte, on va en parler encore.

 

En 1990, le public québécois a découvert que vous n’étiez pas uniquement une grande chanteuse, mais également une grande actrice avec votre rôle de mère dans le film Léolo de Jean-Claude Lauzon. Pouvez-vous nous parler du tournage et de ce grand cinéaste qui nous a quittés beaucoup trop tôt ?

Jean-Claude Lauzon est mort comme il a vécu. C’était un être d’une intensité rare. Ce n’était pas un être aimable, mais il avait des amis qui l’aimaient, et moi je l’ai aimé profondément. Je ne voulais pas faire son film, je l’ai fait parce que Dominique Michel me l’a demandé. Elle m’a dit « Aie au moins le respect de faire un screen test ». J’ai passé le screen test et Lauzon m’a pris par le bras, et il m’a demandé si j’ai eu du plaisir. J’ai dit oui. Ensuite, il m’a dit : « Maintenant, va signer ton contrat ». Il voulait vraiment que je joue sa maman. Avant de mourir, il m’a dit qu’il était en train d’écrire l’histoire de sa mère, et il m’a demandé si j’allais la jouer. J’ai répondu : « Avec un grand plaisir ». C’est un grand cinéaste, car son film a été nommé dans les 100 plus grands films au monde ! Je suis très fière, je me sens privilégiée d’avoir joué dans ce film.

 

Vous prévoyez sortir un album avec l’Orchestre symphonique de Montréal comprenant toutes vos chansons préférées en anglais. Avez-vous des titres à nous dévoiler ?

Il y aura Always On My Mind de Willie Nelson, Until It’s Time for You to Go de Buffy Sainte-Marie… Y’a aussi les chansons comme My Man (Barbara Streisand) et It’s My Turn (Diana Ross).

 

Que souhaitez-vous à nos camelots pour le temps des Fêtes ?

Que vous vendiez le plus d’Itinéraires possible ! Que vous ayez un compagnon ou une compagne qui vous aime ben gros et que vous aimez ben gros. Pis faites l’amour au boutte !

 

En terminant, prévoyez-vous faire les séries cette année ?

Aucune idée, s’ils m’appellent, je vais y aller. J’espère qu’ils vont le faire. Peut-être qu’y ont pas assez de hot-dogs? Parce qu’ils me payent en hot-dogs. (rires)