François Saillant

Lutter pour un toit

Geneviève Bertrand, L’Itinéraire, Montréal, le 1er décembre 2018

Pendant 38 ans François Saillant et le FRAPRU ont été indissociables. Après avoir récemment passé le flambeau, l’ancien coordinateur du Front d’action populaire en réaménagement urbain signe Lutter pour un toit, douze batailles pour le logement au Québec, un essai qui retrace les grands jalons de cet enjeu au fil du temps. Son ouvrage, riche en détails pertinents, traite de 12 luttes qui se sont déroulées de l’après-guerre jusqu’à nos jours, dans plusieurs quartiers à Montréal, Québec, Hull, Châteauguay et Val-David. Ce militant dans l’âme prêche l’exemple, puisqu’il habite lui-même une coopérative d’habitation. Rencontre avec un activiste hors pair et plutôt volubile.

 

Pourquoi avoir senti le besoin d’écrire un livre ?

D’abord parce que j’aime raconter des histoires. Mes anciens collègues du FRAPRU peuvent en témoigner. C’est un ouvrage nécessaire pour les gens nouvellement impliqués dans la cause du logement. Aussi, je voulais expliquer comment le développement des villes au Québec s’est fait au détriment des gens à plus faible revenu. Comment, également, les luttes populaires ont forcé les développeurs, les municipalités ou les autorités gouvernementales à modifier leurs plans.

Dans le livre, il y a des victoires absolues, telles le projet de démolition de Milton Parc, qui était censé démolir 800 logements. Ils n’en ont finalement rasé que 200. On a sauvé 600 logements, ce n’est pas rien ! C’est devenu le plus gros complexe de logements communautaires au Canada. Même les défaites les plus dures ont parfois des conséquences positives, comme la démolition des logements de la rue Saint-Norbert à Montréal. Cette lutte a beaucoup fait jaser et a eu des répercussions dans la Petite-Bourgogne, notamment où des logements ont pu être sauvés. Même les scénarios défaitistes apportent des leçons et des effets bénéfiques.

 

Qu’est-ce que le militantisme vous a apporté après 38 ans à la tête du FRAPRU ?

Beaucoup de choses ! Le militantisme est une école où on apprend énormément sur la façon dont les politiques gouvernementales sont orchestrées. Les victoires auxquelles j’ai participé m’ont procuré du bonheur. À chaque fois que des logements sociaux, des coopératives d’habitation ou des OSBL d’habitation ouvrent leurs portes, c’est une victoire. Un logement c’est un ménage, une personne ou un sans-abri qui améliore son sort. C’est une victoire aussi pour toutes les personnes qui vont leur succéder. Compte tenu du nombre de logements qui se sont construits depuis mon engagement avec le FRAPRU, je peux dire qu’il y a beaucoup de victoires dont je suis satisfait. À la fin des années 1970, la ville de Châteauguay ne comptait pas un seul logement social. Aujourd’hui, le logement social représente plus de 20 % du parc de logements locatifs.

Quelle est l’anecdote qui vous a le plus touché au fil des années ?

Il y en a une que je trouve vraiment drôle ! Ça s’est déroulé en 1993 dans le cadre de la lutte à Châteauguay où une occupation a eu lieu à la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Nous devions la convaincre d’acquérir et vendre des immeubles à des organismes sans but lucratif. Nous avons décidé d’occuper les locaux. Soudain, nous entendons un bruit d’enfer, une sonnerie très forte. Des gardiens de sécurité nous confirment qu’il s’agit d’un exercice de feu et qu’il faut évacuer les lieux. Nous avons négocié avec le service de sécurité. On est descendu puis remonté pour poursuivre l’occupation !

 

Croyez-vous que la cause du droit au logement demeure méconnue ?

Oui, c’est très clair ! Pour beaucoup de gens, ce n’est même pas un droit. Quand tu exiges des logements sociaux, un contrôle des loyers plus efficace ou tu revendiques des mesures contre la discrimination, c’est comme réclamer des privilèges. Alors que cela ne l’est pas. Pourtant, le logement est un droit qui est reconnu dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il est aussi reconnu par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui a été signé par le Canada et endossé par le Québec. En revanche, il n’y a aucune loi au Canada ni au Québec qui soutient le droit au logement*. La seule place où ça a été reconnu comme un droit, c’est dans la politique sur l’itinérance. Malheureusement, c’est une politique, ce n’est pas une loi fondamentale.

 

Comment la crise a-t-elle évolué depuis les années 1970 ?

Dans les années 1970, le gros problème auquel on était confronté, outre le coût du logement qui commençait à augmenter, c’était toute la question des opérations de rénovation urbaine. On démolissait massivement des logements pour bâtir l’édifice de Radio-Canada, le stationnement de TVA, le complexe Guy-Favreau ou l’autoroute adjacente. Aujourd’hui, nous n’avons plus de tels problèmes de démolition. Ce qui menace actuellement les personnes à faible revenu, c’est la gentrification et l’embourgeoisement des quartiers, de même que le phénomène Airbnb. Cette plateforme de logements temporaires à des fins touristiques représente une grosse partie du parc de logements locatifs qui est accaparée par Airbnb.

Les gens à faible revenu n’ont plus autant de places assurées qu’avant. De plus, le phénomène de l’itinérance dans les années 1970 était marginal, alors que maintenant on reconnaît qu’il y a un véritable problème social.

 

En quoi peut-on dire que les batailles ne sont plus les mêmes aujourd’hui ?

Avant, le problème était visible et collectif. Ça touchait un grand nombre de personnes en même temps. Maintenant, les batailles se déroulent beaucoup dans la vie privée : personne par personne, logement par logement. Lorsque tu es aux prises avec une augmentation de loyer, une reprise de logement ou des problèmes de discrimination, tu vis ça dans le privé. C’est d’autant plus difficile de faire ressortir la gravité de ce problème-là. C’est d’ailleurs un des défis du FRAPRU de faire en sorte que ces problèmes deviennent du domaine du public.

 

Que penser d’Airbnb ?

Selon moi, c’est de la commercialisation du domaine du logement. Celui-ci devient une marchandise destinée à faire de l’argent alors qu’il devrait être un droit. Il y a cette mentalité de faire des profits et de rentabiliser son investissement. Quand tu loues ton logement pour six mois, il y a l’occasion de faire la piastre. Ce n’est plus un logement locatif ni un logement à loyer bas. Et ça a des impacts majeurs qui perturbent le quartier environnant. Toute la qualité de vie en est affectée. La multiplication des Airbnb fait aussi partie des facteurs qui font monter le coût des loyers avoisinants. Malgré les mesures atténuantes de la mairesse Plante pour restreindre le problème, ce n’est pas assez. Chose certaine, si ça ne va pas assez loin, il faudra interdire Airbnb !