Francine Chatigny, La Quête, Québec, novembre 2018
La Nuit des Sans Abri (NSA) s’est déroulé, le 19 octobre dernier, à la Place de l’Université du Québec, sous le thème de la Nuit solidaire à la rue. Avec ses rites et ses symboles, cet événement prend la forme d’un grand rituel. La Quête en discute avec Magali Parent, organisatrice communautaire au Regroupement pour l’aide aux itinérants et itinérantes de Québec (RAIIQ), l’organisme qui chapeaute l’événement.
Chaque année, le troisième vendredi du mois d’octobre donne lieu, dans près de 40 villes du Québec, à diverses activités de sensibilisation et de réjouissances autour des thèmes de l’itinérance, du partage de l’espace public et de la cohabitation de différentes classes de la population. « Très peu d’occasions sont offertes dans le quotidien pour vivre une mixité aussi festive et assumée dans l’idée de prendre contact avec l’autre » argue, Mme Parent. L’occasion est belle de parler des perceptions des réalités vécues dans la rue, et d’alimenter cette réflexion à l’aide des propos de ceux qui vivent ou ont vécu cette réalité.
Un événement attendu
Dans le milieu éducatif, surtout au niveau secondaire, l’activité est attendue : de plus en plus d’établissements scolaires orientent leurs étudiants vers la NSA. L’événement mobilise des gens de milieux très différents, incluant des travailleurs des quartiers centraux qui côtoient des personnes désaffiliées. Ils profitent de la NSA pour démythifier cette réalité, mais aussi pour partager! « L’office du tourisme va s’associer à l’épluchette de patate cette année », lance comme exemple la porte-parole du RAIIQ.
Le rassemblement donne lieu à des échanges, mais anime aussi l’imaginaire des participants, comme le suggère l’organisatrice communautaire. « On n’a pas idée de tout ce que les gens expérimentent dans le contexte que l’on met à leur disposition. Ne serait-ce qu’être dans un rassemblement de solidarité, une fenêtre espace de mixité sociale. »
Susciter la réflexion
Dans ce sens, la NSA fait le pari que vivre cette expérience mène, à long terme, à une meilleure tolérance envers les gens non normés. « Venir à la NSA, c’est finir de faire le tour des kiosques et tomber dans un vide interactif. Ça crée des malaises des fois. Surtout si tu es seul et que tu es dans le ÊTRE. Tu peux te sentir un peu tout nu dans la rue… », image Mme Parent.
Ces pépites de prise de conscience sont plus que jamais pertinentes et essentielles. Les perceptions évoluent lentement. « Il y a 15 ans, la perception de l’itinérance n’est pas la même qu’aujourd’hui », mais la pauvreté, elle, évolue à un rythme exponentiel. « La semaine dernière, il y a eu 29 femmes refoulées à la porte de l’YWCA en une seule journée. 11 la veille. 6 en moyenne au quotidien », dénombre Mme Parent. Malgré le fait que les acteurs travaillent mieux ensemble, que les services sont mieux adaptés, qu’il y a une meilleure reconnaissance des besoins pour réduire l’itinérance, la situation ne s’améliore pas : tous les mois, de nouvelles personnes sont jetées à la rue. L’organisatrice communautaire pointe du doigt le modèle sociétal. « La croissance perpétuelle, c’est impossible et l’humain n’est clairement pas fait pour ça. On perd des gens en maladie, qui s’isolent, se coupent de leurs proches. En Occident, on crée de l’itinérance », illustre-t-elle.
Construire une conscience collective
Avec ses symboles récurrents, le banc des tickets, la soupe, la grande table, l’exposition photo, la friperie, les organisateurs de la NSA cherchent à montrer les multiples facettes du quotidien des personnes défavorisées, et surtout l’intérêt d’ouvrir ses œillères et de modifier ses interactions avec son entourage. « On souhaite qu’il y ait davantage de tolérance envers les parcours de vie non normés qui ont des besoins non normés. La tolérance que chacun de nous entretient envers l’utilisation des espaces publics influence le parcours des personnes vivant une situation d’instabilité résidentielle », conclut Mme Parent.