Rachelle et Claude Cousineau, au marché de Val-David.

Claude Cousineau : aller jusqu’au bout

Michel-Pierre Sarrazin, Ski-se-Dit, Val-David, octobre 2018

Bien souvent, on ne connaît pas bien celles et ceux qui passent leur vie à s’occuper de la nôtre. À paver du mieux possible les trous et les bosses de notre destin. Depuis le 30 novembre 1998, Claude Cousineau a consacré le plus clair de ses jours (et souvent de ses nuits) à résoudre des problèmes de parcours pour ses concitoyens de Bertrand. « Mon travail comme député a consisté à aller jusqu’au bout avec les gens. Et ça, peu importe leur couleur politique. » Aller jusqu’au bout, c’est-à-dire trouver avec eux la meilleure solution possible. Un travail de bras qui demande qu’on soit entré en politique pour les bonnes raisons, qui sont toujours personnelles1.

Aujourd’hui, il part en retraite comme on part en voyage : avec l’idée de revenir. De poursuivre ce qu’il a toujours fait, et qui est manifestement le fondement de sa foi péquiste : aider les gens. Il me raconte, entre autres anecdotes qui pourraient remplir ce journal, comment il a « traversé la chambre » pour demander l’appui de Philippe Couillard, alors ministre de la Santé, dans un dossier bloqué à cause de détails administratifs. Quelques mois plus tôt, une personne résidente du comté de Bertrand était entrée dans son bureau, en larmes : «

Il faut que vous m’aidiez », avait-elle dit. Le problème a été résolu à Québec, grâce à l’entraide entre parlementaires. Il faut parfois un brin d’humanité pour venir à bout des absurdités du système. « Je suis indépendantiste, dit-il, mais ça ne m’a jamais empêché d’avoir des amis dans tous les partis! C’est nécessaire, si on veut faire avancer les choses. À titre d’exemple, ces dernières années, j’ai pu octroyer à Val-David de 40 à 50 000 $ pour la réfection des routes en allant voir le ministre (libéral) des Transports, qui a ajouté un montant supplémentaire aux 20 000 $ que j’octroyais déjà sur mon budget discrétionnaire. Être député, ça sert à ça : faire avancer les choses de manière concrète.»

Les femmes au pouvoir

À l’heure où nous publions ces lignes, le Québec a pris son plus récent virage politique, au milieu d’un champ de possibles plus ou moins clairement semés en campagne. Nous avons rencontré le député de Bertrand à son bureau de Sainte-Agathe-des-Monts deux semaines avant la fin de son sixième mandat consécutif, lequel s’est achevé avec le scrutin du 1er octobre. Scrutin d’ailleurs marqué par un changement important de la carte, puisque Bertrand, qui comptait jusqu’alors 17 municipalités, est désormais amputé de plusieurs d’entre elles2. Ce qui amène notre député sortant à dire : « Sur les 17 municipalités que j’ai servies, 7 étaient dirigées par des femmes. On veut des femmes en politique, c’est entendu, mais elles n’ont pas la vie facile. On est dur avec elles. On leur dit sur la place publique des choses qu’on n’oserait pas dire à un homme politique. Dans Bertrand, je peux vous le dire, nos mairesses sont des femmes courageuses qui mériteraient qu’on les appuie davantage. On n’est pas obligé d’acheter tout ce qu’elles disent, mais au moins sur la forme, on a le devoir de les soutenir. »

C’est un peu de cette science particulière du politique qui distingue le fond et la forme que le départ de Claude Cousineau va nous priver le plus. « Il y a quelques semaines, poursuit-il, j’ai appelé les sept mairesses de Bertrand et je les ai invitées chez moi. Elles ont toutes accepté. Je leur ai dit : je sais que vous vivez, chacune à des degrés divers, des choses difficiles. Vous pouvez vous entraider et c’est mon conseil aujourd’hui : appelez-vous pour partager votre point de vue et pour vous soutenir. Vous travaillez sur des dossiers régionaux, travaillez ensemble pour votre région. »

Et M. Cousineau d’ajouter : « J’ai aimé ce que j’ai fait durant les 40 dernières années, les 20 ans à l’Assemblée nationale et les 20 autres comme maire et préfet. J’ai côtoyé des gens de différentes allégeances politiques et j’ai beaucoup appris de ces rencontres, qui m’ont permis de grandir personnellement et professionnellement. Vous savez, on apprend toujours du contact direct avec les autres. Je l’ai dit souvent sur différentes tribunes : ma conjointe et moi venons de familles modestes de Montréal. C’est là qu’on a appris l’entraide. Nos parents nous ont appris, dès l’enfance, les valeurs humaines. Il faudrait apprécier davantage cette proximité avec les gens et faire preuve de compassion plus souvent, au lieu de juger. »

 

Où s’en va le Québec?

« Je vais vous dire : j’aime profondément la nation québécoise. J’aime les Québécois. Partout dans le monde, les Québécois ont une bonne cote. Ce n’est pas un hasard. On dit souvent que les Québécois n’aiment pas la chicane. Profondément, nous sommes un peuple courtois.

« Mais pour l’avenir du Québec, aujourd’hui, je suis ambivalent. Le Québec a un bel avenir, si on comprend qu’avec l’immigration nous pouvons enrichir notre culture et notre société. Ce que je veux pour nous, c’est qu’on soit capable de bien recevoir les gens, de bien les intégrer pour qu’ils travaillent avec nous. Je sais qu’on associe facilement le nationalisme avec la xénophobie, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Je suis nationaliste, inclusif quand il s’agit de l’immigration, mais il faut se réveiller : il faut que nous défendions mieux notre langue française. Nous étions, dans ma jeunesse, à Montréal, la deuxième ville française du monde après Paris! Avant même Marseille, Bordeaux… c’était clair que nous vivions en français chez nous, dans les années 1960, 1970. On parlait de 75-80 % de francophones pour 20-25 % d’anglophones-allophones. Aujourd’hui, on parle de 48-52% de gens parlant français à Montréal. On risque l’assimilation!

Là-dessus, je rejoins François Legault, même si je ne suis pas caquiste. On est entouré de 350 millions d’anglophones, le français ne semble plus être une priorité, mais il doit impérativement le redevenir. Peu importe qu’on soit nationaliste ou pas. C’est capital pour l’avenir du Québec. » Si on ne défend pas la langue française, insiste Claude Cousineau, on ne peut pas défendre la nation. « La langue, ajoute-t-il, c’est l’âme, le souffle d’un peuple. L’assise de sa culture. Le multiculturalisme à la Trudeau est une stratégie politique de ratoureux. Je suis un homme sociable, mais si la nation n’est pas défendue par sa langue, elle disparaît. » Et de conclure : « Pour moi, l’indépendance d’un peuple, ça transcende les partis politiques. C’est une tendance qui ne passe jamais de mode, comme le prouve le nombre important de pays qui sont devenus indépendants depuis une trentaine d’années et ceux qui aspirent à la devenir. « Car c’est assez évident : la liberté démocratique est à ce prix. Déjà, au Québec, nous avons une assemblée nationale, une capitale nationale, un drapeau national. Tout ça, ce sont des symboles importants. Je suis inclusif, je suis pour l’interculturalisme, mais ne pas reconnaître ce que nous sommes, j’ai de la misère avec ça! »

Et puis, comme nous le faisons tous à la veille des élections, M. Cousineau a choisi son scénario électoral. Pour la première fois depuis deux décennies, il pouvait le faire en toute indépendance c’est le cas de le dire, en s’appuyant sur sa connaissance intime des rouages politiques du pays, de sa proximité avec les gens, de la vision que seule l’expérience apporte face aux obstacles réels de la vie publique. Et comme le disait un fin observateur de la scène politique actuelle : « S’il est vrai que les conseils gratuits ne valent souvent pas grand-chose, la sagesse accumulée par ceux qui ont déjà parcouru le chemin est souvent d’une valeur inestimable.3 »

« La nation québécoise existe. Tous comme la nation haïtienne, que j’admire beaucoup, dit l’ex-député de Bertrand. Demandez aux Haïtiens s’ils sont prêts à renoncer à leur indépendance pour un meilleur PIB. Jamais sera la réponse. Ils n’y renonceront jamais. » Claude Cousineau, avant d’être député, a été le fils d’un ouvrier de Montréal. Il a étudié les sciences de l’éducation, la biologie moléculaire et cellulaire, il a été directeur d’écoles, enseignant, administrateur d’entreprises publiques, maire de Sainte-Lucie-des- Laurentides, préfet de la MRC des Laurentides. Le 17 mars 2010, il a été fait Officier de l’Ordre de la Pléiade4. Il a été au service des gens de Bertrand depuis 20 ans et au moment de partir, il se demande ce qu’il pourra encore faire pour eux en 2019. Pour l’instant, heureux de prendre le large avec son épouse Rachelle pour quelques jours au Maroc, un pays qu’il connaît bien puisqu’il a été membre de la Délégation de l’Assemblée nationale pour les relations avec le Maroc (DANRM) de 2012 à 2014, il est heureux d’être père de deux filles qu’il aime sans limites et d’une nation qu’il adore. Également sans limites. Et ceux qui le connaissent le lui rendent bien.

1 Dans son essai comme boursier de la Fondation Jean-Charles-Bonenfant La face cachée du travail d’un député…, Julien McDonald-Guimond cite Françoise David : « Ce n’est pas moi toute seule, dans un cheminement personnel toute seule, qui ai décidé d’aller en politique. Pour beaucoup de politiciens, il y a une démarche très personnelle. Certains militent dans des partis avant, d’autres sont recrutés pour leur notoriété́, leur travail. Mais c’est sur une base très personnelle qu’ils décident de faire le saut. »

2 La nouvelle circonscription de Prévost, située dans le secteur qui ceinture la ville de Saint-Jérôme, est formée à partir des circonscriptions de Bertrand et de Rousseau. Elle comprend les villes de Prévost, Saint-Sauveur, Piedmont et Sainte-Anne-des-Lacs, qui ont fait jusqu’ici partie de la circonscription de Bertrand. Elle intègre également les municipalités de Saint-Hippolyte et de Sainte-Sophie, toutes deux auparavant situées dans la circonscription de Rousseau.

3 David Docherty : écrivain, journaliste, universitaire, directeur de télévision britannique, producteur et PDG du Centre national des universités et des entreprises à Londres.

4 La Pléiade, ordre de la Francophonie et du dialogue des cultures créé en 1976, veille à reconnaître le mérite de personnalités qui se sont distinguées en servant les idéaux de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, notamment en matière de coopération, de solidarité et de démocratie.