Patricia Morin (intervenante au maintien en logement Porte-Clés) en train de vider le logement d'un participant d'une autre intervenante. Parce que Porte-Clés, c'est une équipe soudée, toujours prête à s'entraider! Photo : Charline Giroux

La pro du déménagement

Francine Chatigny, La Quête, Québec, octobre 2018

Charline Giroux travaillait comme intervenante à La Maison Lauberivière quand son directeur, Éric Boulay, a décidé de la prêter au projet Porte-Clés. Du coup, elle devenait agente au logement, un poste à inventer, pièce par pièce! Son mandat, par contre, est précis: fournir un logement aux participants du Porte-Clés.

 

Trouver des logements

Charline a d’abord constitué un réseau de propriétaires prêts à participer au projet. « J’ai établi la liste des gestionnaires immobiliers de Québec et j’ai communiqué avec eux. » À chacun, elle explique la nature du projet et de l’accompagnement offert. Puis, elle écoute leurs appréhensions. « Si on veut faire équipe, il faut se respecter: des proprios ne sont pas à l’aise avec certaines problématiques. » Le défi pour Charline est donc de trouver le bon arrimage locataire et locateur. « Je ne leur présenterai pas des personnes avec lesquelles ils sont moins à l’aise, parce que ça va être un échec. Ça ne veut pas dire qu’ils sont fermés au projet. »

Le maintien de ce réseau s’avère un travail continu. « Ils ont décidé de faire affaire avec moi parce que je leur offre certaines garanties (voir encadré page suivante). C’est important de les respecter. » Car, si les propriétaires acceptent de loger des personnes ayant vécu de l’instabilité résidentielle, c’est parce qu’ils sont accompagnés. « S’ils créent des problèmes, on est là pour les régler. Ça fait toute la différence». Depuis trois ans, Charline met beaucoup d’énergie à satisfaire « ses» propriétaires. « Nous avons acquis une bonne réputation. Des proprios m’appellent pour me dire qu’ils veulent faire équipe avec moi! »

 

Combler les attentes des locataires

Charline doit aussi satisfaire les attentes des futurs locataires. Chacun d’eux dresse la liste des critères essentiels à leur bien-être. Charline rencontre, quand le temps le lui permet, chaque participant et le bombarde de questions pour obtenir un portrait juste de leur logement idéal. Cet interrogatoire diminue le nombre de visites inutiles et les risques de déménagement ultérieur. Elle leurs demande aussi de prioriser leurs critères. «J’essaie de trouver un logement qui répond au maximum de critères sur les 1O! » Sont-ils trop exigeants? « Non, c’est nécessaire à l’appropriation du logement. Ça demande beaucoup d’adaptation, les repères de la rue par rapport à ceux d’un logement sont très différents. C’est vraiment important de respecter leur désir. » Sa banque de locateurs ne comblant pas tous les besoins, l’agente de logement la bonifie constamment en cherchant, comme tout le monde, sur Kijiji!

 

Un service clés en main

Depuis un an, Charline s’est vu confier par l’Office municipal de l’habitation de Québec (OMHQ) les inspections de loyers essentielles à l’étude du dossier pour l’accord du supplément au loyer. Elle tire profit de cette tâche supplémentaire. « Ça me permet de constater l’état des lieux et de demander les réparations. »

Quand le dossier est accepté et que le propriétaire a signé l’entente avec l’OMHQ, vient l’étape palpitante: la signature du bail. « Entre-temps, je suis allée à l’entrepôt avec l’intervenant au suivi et le participant pour qu’il choisisse tous les meubles qu’il désire. Souvent, il n’a rien. »

Pour monter une réserve de meubles, Charline a frappé aux portes du Comptoir Emmaüs et de l’Armée du Salut qui lui ont fourni un premier lot de divans, de lits, de tables à manger, etc. Pour stocker ces dons, l’agente de logement a fait appel à la Fondation Famille Jules- Dallaire qui lui prête l’entrepôt des Sœurs de la Charité. S’y entasse tout le mobilier dont auront besoin les futurs locataires. La bonne réputation du Porte-Clés s’étendant, de plus en plus de dons proviennent de la population.

Les nouveaux locataires reçoivent aussi un kit de départ. « On a constaté qu’avec leur 600 $ de revenus, une fois le loyer de 200 $ payé, ils n’avaient plus assez de sous pour s’équiper le premier mois. » Lagente de logement supervise la préparation de ce matériel: vaisselle et literie ainsi que deux caisses de nourriture, l’une de denrées périssables, l’autre de denrées sèches. « Ce sont des commandes que je passe à la cuisine et au magasin de Lauberivière. »

Le projet se bonifie au fur et à mesure que les défis se présentent. « On garantit que le loyer restera en bon état. Si on veut que la personne nettoie, ça prend ce qu’il faut. » PorteClés remet un chèque-cadeau d’une valeur de 100 $ à l’intervenant au suivi qui accompagne le locataire pour l’achat de produits et accessoires de nettoyage.

 

Une job de bras

Charline se métamorphose régulièrement en femme de ménage, en peintre, etc. pour respecter ces engagements envers les propriétaires. « Pour chaque candidat de chaque organisme qui quitte, je me tape le ramassage, le vidage, le nettoyage, la peinture … » Elle participe aussi physiquement à la collecte de meubles qu’elle coordonne, du préramassage à l’entreposage jusqu’au logement du candidat.

En juillet dernier, Charline a déménagé 9 fois! et elle ne compte plus le nombre de déménagements qu’elle a faits au cours des trois dernières années: 91 personnes ont été intégrées en logement, sans compter celles qui ont déménagé à nouveau. « Je suis chanceuse, depuis deux ans, d’avoir Pier-Luc Larrivée mon déménageur régulier (qui ne fait pas ça dans la vie), le camion du Café-Rencontre et Stéphane Bolduc, un candidat PorteClés, qui participe à tous les déménagements et collectes, car ce n’est pas toujours facile et agréable. Descendre ou monter un frigo de trois étages dans des escaliers en colimaçon et fréquenter des lieux potentiellement infestés de punaises de lit demandent un certain dévouement. Léquipe est soudée, on se respecte, on apprécie ces moments et on se surprend nous-mêmes de tous les défis accomplis depuis le début … »

 

Allo, Charline ?

Véritable agente de liaison entre les quelque 30 proprios, les 14 intervenants au suivi et les 91 locataires, Charline est l’unique employée du Porte-Clés qui connaît l’ensemble des acteurs qui y participent. Résultat : son téléphone ne dérougit pas. Des plaintes de proprios aux requêtes de locataires – surtout quand l’intervenant au suivi est en congé – tous se réfèrent à elle. « Je peux passer quatre heures par jour au téléphone. » Dans les cas conflictuels, après plusieurs avis par téléphone, elle va rencontrer les locataires pour leur rappeler que les avantages du programme viennent avec des responsabilités à assumer, comme le respect des voisins. Elle doit leur rappeler que chacun doit collaborer. Si la situation ne s’améliore pas, c’est alors Nathalie Giguère, la coordonnatrice clinique de Porte-Clés qui rencontre le locataire.

Malgré la lourdeur de la tâche, Charline adore son boulot. « J’ai l’impression qu’il n’y a pas de limite à l’aide que Ion peut apporter: on va sur place et on prend le temps qu’il faut. On va plus loin que la structure de nos organisations et on a beaucoup de latitude et la confiance de la part de nos directeurs. »