Claire Chouinard, L’Attisée, Saint-Jean-Port-Joli, septembre 2018
Peu importe l’âge que nous avons aujourd’hui, 1918 a été et restera une année marquée par plusieurs événements historiques. Parmi eux, rappelons que le monde est alors plongé dans la Première Guerre mondiale, qui connaît son dénouement le 11 novembre avec la signature de l’Armistice. Au Québec, l’actualité de l’époque est aussi teintée par la guerre : au printemps, la conscription provoque les pires émeutes de son histoire puis, au cours de l’été, la grippe espagnole fait son apparition, épidémie qui cause le décès de 30 000 personnes au Canada. Sur une note plus positive, en mai 1918, le gouvernement fédéral accorde le droit de vote aux femmes.
D’Armande à Lili
Plus près de nous, le 10 septembre 1918, dans le paisible chemin du Moulin, aux Trois-Saumons de Saint-Jean-Port-Joli, voit le jour Marie Albertine Armande Chouinard, l’aînée des 13 enfants d’Emma Bélanger et Albert Chouinard. À cette époque, la famille « élargie» existe déjà, mais avec une signification différente d’aujourd’hui. La petite Armande peut compter sur la présence de ses parents, mais aussi sur celle de ses grands-parents paternels Azélie et François Chouinard, de sa tante Marie et de son oncle Antoine qui habitent aussi la résidence familiale. Très fier d’être nouvellement grand-père, François est en admiration devant cette première petite descendante qu’il veut présenter à tous ses amis, occasion qu’il ne manque pas, étant un des seuls de la région à posséder une voiture en 1919. Comme François trouve la petite si jolie et voit en elle un peu de la grand-mère Azélie, le prénom Armande fait rapidement place au surnom affectueux, plus doux et féminin de Lili, qui sera là pour toujours.
Le sens des responsabilités
Bien qu’Armande profite bien de son statut de première petite-fille et d’aînée pour se faire gâter, le privilège vient avec une responsabilité : celle de montrer l’exemple, d’être raisonnable et, surtout, d’accomplir les nombreuses tâches du quotidien. Dès son plus jeune âge, elle seconde sa mère auprès d’une maisonnée qui ne cesse de s’agrandir avec l’arrivée de 8 frères et 4 soeurs. Vers l’âge de 18 ans, forte de son expérience des travaux domestiques, Armande va aider sa tante Alexina, qui prend en pension une dizaine de travailleurs au concasseur des Trois-Saumons, en activité entre 1936 et 1938, lors de la construction de l’actuelle Route 132.
Son cœur s’emballe pour un homme à vélo!
Après quelques prétendants, Armande tombe sous le charme de Louis Caron, fils d’agriculteur du 2e Rang de L’Islet, à quelques kilomètres de chez elle. Louis commence sa conquête en rendant visite à Armande en vélo, une cour discrète et soutenue échelonnée sur deux années. Puis, le 23 octobre 1939, face à l’imminence de la Deuxième Guerre mondiale, tous deux choisissent d’effectuer le grand saut, pour le meilleur et pour le pire. Après un voyage de noces à Sainte-Anne-de-Beaupré et quelques jours à la maison des beaux-parents, ils s’installent sur leur terre dans les limites des Trois-Saumons, à L’Isletsur- Mer. Située face au fleuve et profitant des magnifiques couchers du soleil sur les Laurentides, cette maison profite d’un emplacement unique, mais n’est pas pourvue d’électricité, ce qui viendra deux ans plus tard, en 1941, à temps pour l’arrivée de la cigogne, ma mère Nicole, qui voit le jour le 21 mai 1942. Tout comme Armande, Nicole profite à son tour de son statut de première arrière-petite-fille pour se faire chouchouter et bercer par ses nombreux oncles et tantes. Elle sera suivie de trois autres filles, soit Marielle, Lise, et Micheline. À cette époque où la terre a besoin de «bras » pour faire fonctionner la ferme, on comprend mieux la force de caractère des filles Caron, qui doivent prendre leur place pour montrer de quoi elles sont capables.
Aussi on imagine sans contredit la fierté bien masculine de Louis de voir enfin l’arrivée de deux fils, Benoît, puis André pour assurer la relève. S’ajouteront à la famille Ginette, puis Gilles, soit 8 enfants en 13 ans.
Un long fleuve tranquille
Le couple Louis et Armande travaille main dans la main pour mener à bien une vie faite de dur labeur et de compromis, mais surtout de plusieurs moments de bonheur. Excellente cuisinière, reconnue notamment pour ses talents de boulangère et de pâtissière, pensons notamment à ses tartes, ses brioches, ses beignes, ses fondues parmesan, son pain. Armande excelle également dans le tricot et la couture. Bref, une femme bonne à marier en qui Louis a vu la perle rare. On devine certes qu’Armande a été séduite par le côté taquin de Louis, qui aime bien jouer des tours à ses proches. Jeune d’esprit et enjoué, il n’a pas peur de se mettre à quatre pattes avec un enfant sur le dos pour faire le cheval autour de la table. Ensemble, Louis et Armande forment un couple heureux sans histoire et ont une belle vie comme un long fleuve tranquille.