Photo: Pierre Rochette

Le Choix du Président, le logiciel moqueur et moi

Miguel Mongeau, Le Mouton Noir, Rimouski

Je lève souvent des yeux étonnés au ciel quand j’entre dans mon Provigo. D’abord parce que ça s’appelait jadis Dominion et que ça ne peut pas toujours aller mal. Puis parce qu’il est haut de plafond et spectaculaire dans cette ancienne locoshop des cours Angus, tant, entre autres, par l’ampleur que par la profusion de ses rayons maraîchers où l’on se sent roi de la patate. Mais surtout parce que de ce mythique espace fluo bardé d’armatures en acier peint jaune, se déverse aussi, trois fois sur quatre, une musique habituellement criarde et anglo alors que neuf clients sur dix y sont francophones et pas si sourds, que je sache. Mon gérant du Président, homme affable et d’adon entre tous, m’a déjà donné raison là-dessus et a donc fait baisser le volume… une fois. Rebelote de moi. Deux fois alors. Mais devinez qui revient sans cesse au galop? Comme je ne suis pas celui qui y passe ses semaines, j’ai jeté sa serviette à Joe Fresh.

L’automne dernier, j’ai dû aussi jeter les bras au ciel. Faisant plus ample connaissance avec les huit caisses automatiques, j’ai découvert à mes dépens qu’elles étaient toutes douées à la fois d’une reconnaissance du code-barres plutôt approximative et d’un français déficient. Croyant d’abord que, comme moi, elles avaient une tendance toute québécoise à laisser tomber leurs finales muettes, je me suis mis en tête de leur faire répéter « l’aide est requis (!) pour cet article », puis « votre commande est suspendue (!!) », un motif de plus de lever les yeux, d’inquiétude cette fois, question de repérer où et comment on avait bien pu arriver à accrocher mes achats sans que j’aie passé de commande.

Bref, dans un fol enthousiasme n’ayant d’égal qu’une naïveté sans pareil à m’imaginer que la qualité de la langue pouvait rallier, et non sans avoir d’abord sonné les cloches à la préposée aux caisses, puis au gérant (me fuyant dorénavant comme un verbe intransitif son complément d’objet), je me suis fendu d’une lettre de doléances électronique – qualité de la langue, comprenez, logiciels plantés dans toutes vos succursales du pays, respect minimum dû à votre clientèle francophone, etc. – la diatribe ad hoc, donc, direct au QG de Provigo, quelque part aux abords de Toronto. Réponse immédiate, très polie – oui bien sûr, croyez bien que nous sommes très sensibles à vos commentaires et que dans les plus brefs délais nous ferons en sorte que, etc. – la lotion d’usage. Je dois dire que s’il s’agit d’un logiciel de réponses, il est plus au point que celui de la succursale locale mais tout aussi incompétent. Parce qu’en six mois rien n’a changé et l’aide est toujours requis au coin de ma rue.

De guerre lasse, je me suis ultimement rabattu sur l’Office québécois de la langue française. Tant qu’à tomber au combat, aussi bien entraîner la cavalerie, figurant que j’allais trouver là un allié naturel à ma cause. Eh bien pas du tout! Oh l’Office a bien envoyé un éclaireur sur place pour enquêter, faire subir la question au logiciel moqueur, on se doute bien, et faire rapport, mais l’exercice n’a fait que confirmer mes pires soupçons : aucune véritable infraction à la loi sur le français n’étant commise, y a non-lieu. Case départ.

Dans mes meilleurs moments de paranoïa identitaire, je me prends à croire que l’OQLF a lui-même eu recours à une manière d’algorithme pour aller tirer les vers du nez à celui de mon Provigo et que comme ça, entre eux et deux clics… Paraîtrait qu’on n’a encore rien vu… entendu en matière d’intelligence artificielle. Si ça peut tuer un piéton en Californie, ça peut fort bien vous estropier une langue ici, non? Et je me rabats de plus en plus au dépanneur du coin « Chez Réal »… Chan et sa femme, Coréens d’origine, dont le français est véritablement de choix à côté de celui du Président.