Ianik Marcil, Le Mouton Noir, Rimouski
Le thème est aussi récurrent (et lassant) que celui du Boléro de Ravel : le Québec, particulièrement en région, connaîtrait une grave pénurie de main-d’œuvre. Les patrons déchirent leur chemise sur toutes les tribunes, blâmant le système d’éducation (pas adapté aux besoins du marché du travail), les gouvernements (qui les étouffent avec la taxation et la réglementation) ou les syndicats (pour toutes les raisons possibles). C’est souvent l’occasion pour les associations patronales ou les regroupements de PME de réclamer plus de « souplesse » du marché du travail.
Alors qu’on a annoncé que le taux de chômage en décembre 2017 était le plus bas enregistré au Québec en plus de 40 ans, à 4,9 %, on pourrait s’attendre à ce que cette pénurie d’emplois soit effectivement très importante. Or, au Québec, selon les dernières statistiques, un peu moins de 90 000 postes étaient vacants, ce qui représente un tout petit 2,1 % de l’emploi total. Dans les régions qui connaissent un très bas taux de chômage, Chaudière-Appalaches ou l’Abitibi par exemple, on observe effectivement une proportion plus grande de postes vacants. L’inverse est aussi vrai, mais pas dans toutes les régions. La Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine connaît le plus haut taux de chômage du Québec, presque le double de la moyenne nationale, et aussi le plus bas taux de postes vacants. Par contre, Lanaudière a à la fois un des plus bas taux de chômage et proportionnellement le moins de postes disponibles de toutes les régions de la province.
Emplois peu rémunérés cherchent preneurs
De manière générale, le taux de postes vacants dépasse toutefois rarement la barre des 2,5 %. Prétendre qu’il y a péril en la demeure est nettement exagéré. L’idée d’un cruel manque de main-d’œuvre qualifiée est totalement fausse. Moins les emplois nécessitent de qualifications, plus la proportion des postes à pourvoir est grande. Qui plus est, ces emplois sont très largement moins bien rémunérés que la moyenne.
Parmi les emplois les plus demandés au Québec selon les dernières statistiques, on compte les serveurs et serveuses, les cuisiniers et cuisinières, les conducteurs et conductrices de camions, les caissiers et caissières, les vendeurs et vendeuses et les aides-soignants et soignantes. Tous ces métiers ne nécessitent ni longue formation ni qualifications importantes et sont aussi mal rémunérés que difficiles. On est donc très loin du mythe de la pénurie d’emplois qualifiés. Est-ce qu’ils forment la majorité des quelque 2 500 postes actuellement vacants dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine? Les données de Statistique Canada ne nous permettent pas de le savoir avec exactitude, mais la réalité semble être la même dans toutes les régions du Québec.
Pourquoi les employeurs sont-ils alors aux abois? D’une part, parce que c’est parfois vrai qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre spécialisée. Par exemple, Emploi-Québec rapportait l’automne dernier qu’il y avait 500 postes à pourvoir pour des soudeurs et soudeuses dans le Bas-Saint-Laurent. C’est certainement la réalité. Cela s’explique par certains besoins spécifiques et ponctuels de l’industrie, notamment de nouveaux projets industriels ou d’importantes commandes de grandes entreprises, par exemple l’augmentation de la capacité de production du chantier maritime Verreault aux Méchins. Ce phénomène s’observe plus souvent en dehors des grands centres, en raison de la taille de la population. Il est plus aisé pour une soudeuse habitant Longueuil de postuler pour un poste à Saint-Jérôme qu’à La Pocatière, mais ces pénuries de main-d’œuvre qualifiée sont l’exception plutôt que la règle.
Puisqu’une grande partie des emplois disponibles sont non qualifiés, d’autres raisons motivent le patronat à tenir ce discours. L’an dernier au Québec, presque exactement la moitié des postes à pourvoir ne nécessitaient que des compétences dites élémentaires ou intermédiaires. On a fait grand bruit de restaurants rapides à Val-d’Or qui manquaient à ce point de personnel qu’ils étaient contraints de fermer certains jours de la semaine. Pas pour rien : ces emplois ne sont pas payants et sont abrutissants. Il ne s’agit pas d’un cas de pénurie de main-d’œuvre, mais d’emplois de qualité. Être payé au salaire minimum, travailler à temps partiel et être soumis à horaires variables pour occuper un emploi peu valorisant n’attire pas les foules.
Ces employeurs ont raison de se plaindre, mais leurs plaintes pointent la mauvaise cible. Leur problème, ce ne sont pas les travailleurs et les travailleuses, mais plutôt leur modèle d’affaires qui repose sur le cheap labor. S’ils entreprenaient d’offrir un cadre d’emploi et de rémunération adéquat, ils auraient beaucoup moins de mal à combler leurs besoins de main-d’œuvre.